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BERNARD
COMMENT
Un Poisson
hors de l'eau,
roman, Paris, Seuil, Coll. Fictions & Cie, 2004,
269 p.
BERNARD
COMMENT
Le Colloque
des bustes, Christian Bourgois, 2000.
Une
parole libératrice
Avec
une insistance curieuse, les gazettes locales ont claironné
que le Prix Médicis devait revenir cette année
à Bernard Comment. Cela n'a pas été le
cas. Heureusement. Car Le Colloque des bustes, dernier
ouvrage de cet écrivain suisse établi à
Paris, vaut beaucoup mieux
Roman
glacé en même temps que satire ardente des milieux
artistiques (spécialement l'avant-garde, qui en prend
ici pour son grade), à la frontière constante
du sarcasme et de la drôlerie, Le Colloque des bustes
nous entraîne dans une bien curieuse histoire. Une histoire
sans queue ni tête, pourrait-on dire, si les mots, comme
toujours, ne nous trahissaient pas. Car la figure centrale de
ce Colloque se résume à une tête
et un tronc, c'est-à-dire une voix et un corps "
réduit à l'essentiel ", privé de bras
comme de jambes (et de sexe, apprend-on incidemment, au détour
d'une page) : c'est un homme-tronc.
Figure
de l'esclave absolu, dépendant totalement du bon vouloir
des autres pour sa subsistance, comme pour ses soins corporels,
cet étrange personnage s'est construit une nouvelle vie
en tant qu'uvre d'art vivante (autrement dit, de marchandise).
Il a d'abord appartenu à Monsieur, qui l'exposait en
permanence dans son salon, tirant gloire et prestige de ce buste
savant. On l'a ensuite sélectionné pour un colloque
destiné à faire la promotion, en première
mondiale, d'un logiciel informatique permettant d'écrire
à haute voix, sans passer par la plume ou le clavier,
logiciel baptisé ironiquement : " Et pourtant,
ils écrivent ".
Un
tour de force
À
travers cette fable grinçante, Bernard Comment dénonce
à la fois les dérives de l'art contemporain (des
performances sanguinolentes aux excès du body art),
les méfaits d'une médiatisation à outrance
et cette exploitation des corps, entièrement aliénés,
par la société de spectacle. Mais si le livre
de Comment se résumait aux thèmes que l'on vient
d'évoquer, il ne serait qu'une satire supplémentaire
de notre société en voie de globalisation. Le
colloque des bustes est davantage que cela : par son ton,
la vérité curieuse et bouleversante de sa parole
(seule dimension de liberté du personnage infirme), par
ses trouvailles (la fin, surtout, qu'il ne faut pas raconter),
l'élan de l'écriture fertile et libre, ce roman
est un tour de force, dans le meilleur sens du terme, et, grâce
aux images déformées qu'il nous renvoie du réel
c'est-à-dire de nous-mêmes , il ne laisse
pas son lecteur indemne.
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BERNARD
COMMENT
Éclats
cubains, Éditions Grimoux, 1998.
Cuba
si
Bernard
Comment, qui a écrit en 1991 un essai important sur Barthes,
connaît toutes les subtilités de la photographie.
C'est à la fois en voyageur émerveillé,
perplexe ou amusé, et en spectateur critique qu'il nous
propose une sorte d'abécédaire cubain, riche en
découvertes, en visages, en émotions. Accompagnant
les belles images de Jean-Luc Cramatte, qui chacune raconte
une manière de fable, les éclats de texte
de Comment tantôt prolongent, tantôt éclairent,
tantôt questionnent la vision nécessairement éclatée
du photographe.
Bien
qu'elles soient toutes très belles, ces images ne sont
pas touristiques. C'est un parcours tout à fait personnel,
hors des sentiers battus, des clichés ressassés
sur Cuba, que nous proposent les deux artistes, en une mosaïque
à la fois très parlante, joyeuse et bigarrée.
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BERNARD
COMMENT
Même les oiseaux, Christian
Bourgois, 1998.
La
fable des oiseaux
Après
avoir travaillé sur les deux derniers films d'Alain Tanner
(autre grand questionneur de la Suisse) et travaillé
pour la télévision, Bernard Comment revient à
l'écriture avec un livre au titre magnifique, Même
les oiseaux. C'est un livre de fables, dont les thèmes
se reflètent dans un habile jeu de miroir, et qui, toutes,
posent un regard lucide et interrogateur sur la Suisse d'aujourd'hui.
En
écho ironique avec le dernier de Roulet, " Le ficheur
", qui ouvre le recueil des Oiseaux, raconte l'amertume
d'un militant gauchiste qui vient de découvrir, avec
stupeur, que la célèbre Police Fédérale
n'a même pas pris la peine de le ficher. Oubli
ou négligence qu'il va réparer lui-même
en se fabriquant un passé criminel, patiemment, pour
entrer dans l'Histoire des grands persécutés.
Une
autre fable, plus loin, renvoie à l'histoire du "
Ficheur ", c'est " Château d'eau ", sans
doute l'une des plus réussies du livre. Fiction dürrenmatienne,
cette fable renvoie à l'image d'une Suisse isolée
comme une île. D'ailleurs ce n'est pas une image : le
Conseil Fédéral ayant décidé de
bloquer la source des principaux fleuves du pays, l'Europe devient
un grand désert, tandis que la Suisse voit ses eaux peu
à peu monter et l'engloutir.
À
ces fables d'inspiration politique, s'ajoutent d'autres récits,
d'un ton peut-être plus personnel, moins idéologiques,
et qui sont une vraie réussite. Je veux parler de "
Faire-part ", dans lequel une vieille dame qui prépare
son enterrement retrouve soudain goût à la vie
grâce à un homme qu'elle rencontre. Il y a aussi
" Perdu de vue ", et surtout " Migrations ",
la dernière fable, et sans doute la plus forte du livre,
où l'on voit une femme de plus en plus indifférente
à la vie et aux gens qui l'entourent comprendre soudain
son intime étrangeté en nourrissant les
oiseaux de son petit jardin. Récit de suspicion, à
l'atmosphère neigeuse et lourde, cette fable révèle,
autant que l'enfermement helvétique, l'inaliénable
désir d'évasion qui habite chaque habitant de
ce pays. " On me faisait savoir que les oiseaux les
plus appréciés dans ce pays n'étaient ni
des étrangers, ni des immigrés, mais des saisonniers.
Ils savaient repartir, eux. "
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