FEUILLETON LITTÉRAIRE
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Dernière mise à jour le 22 juillet 2004

 

FEUILLETON LITTÉRAIRE

BERNARD COMMENT
Un Poisson hors de l'eau, roman, Paris, Seuil, Coll. Fictions & Cie, 2004, 269 p.

 

Bientot dans le FEUILLETON ...

 

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BERNARD COMMENT
Le Colloque des bustes, Christian Bourgois, 2000.

 

Une parole libératrice

Avec une insistance curieuse, les gazettes locales ont claironné que le Prix Médicis devait revenir cette année à Bernard Comment. Cela n'a pas été le cas. Heureusement. Car Le Colloque des bustes, dernier ouvrage de cet écrivain suisse établi à Paris, vaut beaucoup mieux…

Roman glacé en même temps que satire ardente des milieux artistiques (spécialement l'avant-garde, qui en prend ici pour son grade), à la frontière constante du sarcasme et de la drôlerie, Le Colloque des bustes nous entraîne dans une bien curieuse histoire. Une histoire sans queue ni tête, pourrait-on dire, si les mots, comme toujours, ne nous trahissaient pas. Car la figure centrale de ce Colloque se résume à une tête et un tronc, c'est-à-dire une voix et un corps " réduit à l'essentiel ", privé de bras comme de jambes (et de sexe, apprend-on incidemment, au détour d'une page) : c'est un homme-tronc.

Figure de l'esclave absolu, dépendant totalement du bon vouloir des autres pour sa subsistance, comme pour ses soins corporels, cet étrange personnage s'est construit une nouvelle vie en tant qu'œuvre d'art vivante (autrement dit, de marchandise). Il a d'abord appartenu à Monsieur, qui l'exposait en permanence dans son salon, tirant gloire et prestige de ce buste savant. On l'a ensuite sélectionné pour un colloque destiné à faire la promotion, en première mondiale, d'un logiciel informatique permettant d'écrire à haute voix, sans passer par la plume ou le clavier, logiciel baptisé ironiquement : " Et pourtant, ils écrivent ".

Un tour de force

À travers cette fable grinçante, Bernard Comment dénonce à la fois les dérives de l'art contemporain (des performances sanguinolentes aux excès du body art), les méfaits d'une médiatisation à outrance et cette exploitation des corps, entièrement aliénés, par la société de spectacle. Mais si le livre de Comment se résumait aux thèmes que l'on vient d'évoquer, il ne serait qu'une satire supplémentaire de notre société en voie de globalisation. Le colloque des bustes est davantage que cela : par son ton, la vérité curieuse et bouleversante de sa parole (seule dimension de liberté du personnage infirme), par ses trouvailles (la fin, surtout, qu'il ne faut pas raconter), l'élan de l'écriture fertile et libre, ce roman est un tour de force, dans le meilleur sens du terme, et, grâce aux images déformées qu'il nous renvoie du réel– c'est-à-dire de nous-mêmes –, il ne laisse pas son lecteur indemne.

 

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BERNARD COMMENT
Éclats cubains, Éditions Grimoux, 1998.

 

Cuba si

Bernard Comment, qui a écrit en 1991 un essai important sur Barthes, connaît toutes les subtilités de la photographie. C'est à la fois en voyageur émerveillé, perplexe ou amusé, et en spectateur critique qu'il nous propose une sorte d'abécédaire cubain, riche en découvertes, en visages, en émotions. Accompagnant les belles images de Jean-Luc Cramatte, qui chacune raconte une manière de fable, les éclats de texte de Comment tantôt prolongent, tantôt éclairent, tantôt questionnent la vision nécessairement éclatée du photographe.

Bien qu'elles soient toutes très belles, ces images ne sont pas touristiques. C'est un parcours tout à fait personnel, hors des sentiers battus, des clichés ressassés sur Cuba, que nous proposent les deux artistes, en une mosaïque à la fois très parlante, joyeuse et bigarrée.

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BERNARD COMMENT
Même les oiseaux, Christian Bourgois, 1998.

 

La fable des oiseaux

Après avoir travaillé sur les deux derniers films d'Alain Tanner (autre grand questionneur de la Suisse) et travaillé pour la télévision, Bernard Comment revient à l'écriture avec un livre au titre magnifique, Même les oiseaux. C'est un livre de fables, dont les thèmes se reflètent dans un habile jeu de miroir, et qui, toutes, posent un regard lucide et interrogateur sur la Suisse d'aujourd'hui.

En écho ironique avec le dernier de Roulet, " Le ficheur ", qui ouvre le recueil des Oiseaux, raconte l'amertume d'un militant gauchiste qui vient de découvrir, avec stupeur, que la célèbre Police Fédérale n'a même pas pris la peine de le ficher. Oubli ou négligence qu'il va réparer lui-même en se fabriquant un passé criminel, patiemment, pour entrer dans l'Histoire des grands persécutés.

Une autre fable, plus loin, renvoie à l'histoire du " Ficheur ", c'est " Château d'eau ", sans doute l'une des plus réussies du livre. Fiction dürrenmatienne, cette fable renvoie à l'image d'une Suisse isolée comme une île. D'ailleurs ce n'est pas une image : le Conseil Fédéral ayant décidé de bloquer la source des principaux fleuves du pays, l'Europe devient un grand désert, tandis que la Suisse voit ses eaux peu à peu monter et l'engloutir.

À ces fables d'inspiration politique, s'ajoutent d'autres récits, d'un ton peut-être plus personnel, moins idéologiques, et qui sont une vraie réussite. Je veux parler de " Faire-part ", dans lequel une vieille dame qui prépare son enterrement retrouve soudain goût à la vie grâce à un homme qu'elle rencontre. Il y a aussi " Perdu de vue ", et surtout " Migrations ", la dernière fable, et sans doute la plus forte du livre, où l'on voit une femme de plus en plus indifférente à la vie et aux gens qui l'entourent comprendre soudain son intime étrangeté en nourrissant les oiseaux de son petit jardin. Récit de suspicion, à l'atmosphère neigeuse et lourde, cette fable révèle, autant que l'enfermement helvétique, l'inaliénable désir d'évasion qui habite chaque habitant de ce pays. " On me faisait savoir que les oiseaux les plus appréciés dans ce pays n'étaient ni des étrangers, ni des immigrés, mais des saisonniers. Ils savaient repartir, eux. "

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