FEUILLETON LITTÉRAIRE
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Dernière mise à jour le 22 juillet 2004

 

 

 

 

FEUILLETON LITTÉRAIRE

GUSTAVE ROUD
Terre d'Ombres, itinéraires photographiques de Gustave Roud (1915-1965), préfacés par Daniel Girardin, Nicolas Crispini et Sylvain Malfroy, Éditions Slatkine, 2002.

 

L'ombre de Roud

C'est, sans conteste, l'un des plus beaux livres parus l'année dernière, l'un des plus nécessaires aussi. Cette Terre d'ombres, qui réunit les plus belles images de Gustave Roud, nous permet de refaire, pas à pas, l'itinéraire photographique du grand poète vaudois, de 1915 à 1965. Cinquante années de promenades et de rencontres, de paysages et de portraits, de réflexion sur l'acte de voir.

Gustave Roud, on le sait, est une figure centrale, mais aussi mystérieuse, de la littérature romande. Centrale parce qu'il fut un poète précoce (à dix-huit ans, il publie ses premiers textes dans Les Cahiers vaudois) et vite reconnu, par Ramuz et Mermod, qui l'invitèrent, dès 1929, à assurer le secrétariat de rédaction de la prestigieuse revue Aujourd'hui, dans laquelle Roud publiera, en feuilleton, des textes aussi importants que son Petit Traité de la marche en plaine ou encore son Essai pour un Paradis. Figure mystérieuse, aussi, que celle de Roud, discrète et toujours en retrait, qui pourtant encouragea un grand nombre d'écrivains (parmi lesquels Philippe Jaccottet et Jacques Chessex, pour ne citer qu'eux), tous aujourd'hui plus célèbres que lui.

Cette discrétion, cette recherche obstinée d'une forme et d'un regard, on les retrouve bien sûr dans le splendide ouvrage publié aux Éditions Slatkine sous la direction de Nicolas Crispini, accompagné de deux textes qui feront date, sans doute, dans la compréhension de l'œuvre de Roud, et signés par Daniel Girardin, Conservateur au Musée de l'Élysée à Lausanne, et Sylvain Malfroy, professeur à l'EPFL.

Le regard intérieur

En dehors de leur beauté formelle, indéniable, souveraine, les photographies de Roud propose un regard familier — c'est-à-dire amical et sans concession — sur les collines du Jorat (où il aura passé presque toute sa vie). Des paysages, bien sûr, souvent lumineux et fragiles, qui célèbrent la brume et les saisons, les travaux des champs, le geste des moissonneurs et des bûcherons, les routes blanches qui sillonnent la campagne. Des portraits, aussi, saisis dans la juste distance, ni ironiques ni complaisants, qui peuplent ces campagnes de présences vivantes. Et des autoportraits, par dizaines, dans lesquels le poète s'analyse, se détaille, se critique, avec un regard toujours étonné.

On pourrait croire, en regardant certaines images, que Roud est avant tout un portraitiste ou un photographe documentaire. Même si cette dimension n'est pas à négliger, elle est largement insuffisante. On s'aperçoit, au contraire, que Roud ne veut pas simplement rendre compte de la beauté qui l'entoure (la nature, comme les saisons, l'émerveillent depuis toujours). Il veut donner forme à son regard. Célébrer la lumière. Composer une image qui ait ses propres qualités artistiques, sa rigueur, son architecture secrète.

C'est peu dire qu'il y parvient, avec maestria, dans ses portraits de vanneurs (1935), par exemple, ou ses essais de double exposition du négatif, ses moissonneurs au repos. À chaque fois, au-delà du rendu descriptif, Roud parvient à capturer une expression, une poésie du corps ou du regard, une force intérieure qui dépasse toute forme.

On le voit : loin d'être un simple loisir, une activité accessoire et banale, la photographie est peut-être bien le laboratoire de la poésie roudienne : cette chambre noire où s'élaborent les images du rêve, les paysages imaginés, les beautés indicibles de la nature et des saisons. Double manière, en somme, de témoigner de ce qui s'est imprimé en nous : la photographie, d'abord, qui est l'empreinte d'un regard ; le texte poétique, ensuite, qui reprend et développe ce regard. Les deux activités, comme on voit, n'en font qu'une.

" Parler de soi, demande Gustave Roud. Un nuage pourrait-il le faire…? " Toutes ces images, en même temps qu'elles célèbrent le monde, parlent aussi de lui. La preuve : son ombre portée, très souvent, y est inscrite comme en marge du sujet. Là encore, Gustave Roud nous surprend par sa modernité. Eugène Atget s'était déjà représenté en négatif dans ses photos dès 1900. Roud reprend cette signature inimitable. C'est un des aspects les plus intéressants de son travail. Il l'inscrit dans la grande tradition des photographes qui portent sur le monde un regard intérieur.

 

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