FEUILLETON LITTÉRAIRE
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Dernière mise à jour le 22 juillet 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

FEUILLETON LITTÉRAIRE

NICOLAS BOUVIER
Histoire d'une image, Zoé, 2001.

 

Les images de Bouvier

Pendant des années, de 1992 à 1997 précisément, Nicolas Bouvier a collaboré au magazine Le Temps stratégique (lâché par Edipresse il y a quelques mois). Il en était l'indispensable iconographe et tenait, à la fin de chaque numéro, une rubrique intitulée " L'image de… ". C'était à chaque fois un bijou finement ciselé. Nicolas y démontrait non seulement son grand talent d'écrivain, son érudition, mais aussi sa véritable passion pour les images, dans la droite ligne d'un Baudelaire. Ces petits textes viennent d'être rassemblés et publiés par les Editions Zoé sous le titre Histoires d'une image. Ils ne sont pas inédits, mais leur qualité, leur fraîcheur, leur éclat, exigeaient qu'ils soient publiés tous ensemble. Cela donne un petit livre extraordinairement savoureux et savant qu'il faut se procurer de toute urgence.

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NICOLAS BOUVIER
Le Corps, miroir du Monde, Editions Zoé, 2000.

 

On sait que Nicolas Bouvier, grand voyageur devant l'Eternel et chroniqueur hors pair, se considérait moins comme un écrivain-voyageur que comme un chercheur d'images. Son vrai travail, sa longue passion fut de courir le monde en quête d'images singulières, obsessionnelles ou insolites. Pour la première fois, ces images sont réunies, et même doublement : dans une exposition (qui se tient à la fondation Verdan à Lausanne, jusqu'au 21 février 2201) et dans un livre, magnifique, qui vient de paraître aux Editions Zoé. Impossible, bien sûr, de reproduire les milliers d'images débusquées par Nicolas. Un choix nous est donné, ici, des images les plus saisissantes, centrées sur le thème du corps. C'est tantôt la vision orientale d'un corps laminé d'inscriptions magiques, tantôt le corps occidental réduit à sa dernière expression : le squelette. Tantôt le corps souffrant, torturé, martyrisé qu'on fait sortir de lui-même, tantôt le corps glorieux qui rejoint l'éternel, dans le christianisme, par son humanité. Tantôt le corps réseau, dont les organes sont le modèle de toute communication, tantôt le corps malade ou fragmenté. Grâce à ce double événement (l'exposition et le livre) on remarque que toute l'œuvre de Bouvier est une interrogation obstinée sur le corps et ses pouvoirs.

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NICOLAS BOUVIER
Une orchidée qu'on appela vanille et La chambre rouge, Metropolis, 1998.

 

Les orchidées de Nicolas

En février dernier, Nicolas Bouvier quittait tous ses amis pour un nouveau voyage, hélas sans retour. Les Éditions Metropolis, son ultime éditeur, redonnent à lire, ces jours-ci, des textes rares de Nicolas, dont une longue rêverie sur la vanille et La chambre rouge, un petit texte autobiographique dans lequel l'écrivain-voyageur décrit son atelier de travail.

Magnifiquement édité, enrichi de nombreuses illustrations couleur et noir-blanc, cette histoire de la vanille est une curiosité. Non seulement par son sujet, en apparence si éloigné des préoccupations d'un nomade comme Bouvier (de surcroît " cancre en botanique "), mais aussi par les circonstances de sa composition. Car cet ouvrage, qui est resté inédit à ce jour, est une commande d'un chocolatier suisse-allemand, qui refusa même de payer son auteur, traitant son texte de " mal de dents " (des extraits de la correspondance avec le confiseur figurent à la fin du livre, ce qui n'est pas le moins intéressant de l'affaire).

Longtemps resté dans un tiroir, ce texte fut repris par Nicolas dans le courant de l'année 1997, puis enrichi d'une longue introduction, intitulée Petite histoire de la vanille et quelques réflexions d'un cancre amoureux des plantes. On y retrouve un Bouvier au meilleur de sa forme, à l'écriture d'une concrétion presque charnelle, à l'érudition subtile, à l'humour sans cesse à fleur de texte. Pour écrire ce petit roman de la vanille, Bouvier s'est inspiré, imprégné même, en profondeur, du magnifique récit de Georges Limbour (Les vanilliers) qui a servi, ici, de fil d'Ariane. Précédé du facsimile des plans du livre, cette Orchidée qu'on appela vanille est une réussite autant littéraire qu'esthétique.

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NICOLAS BOUVIER
Hommage paru dans la Tribune de Genève, février 1997.

 

So long, Nicolas !

Trop d'images et trop d'émotion, de souvenirs aussi, glanés au fil de ces rencontres qui furent autant de fêtes !

Que ce soit dans son atelier, perché au sommet d'une tour et encombré de livres et de photographies, sur les terrasses des bistrots de Carouge qu'il fréquentait assidûment, ou au collège de Saussure, il y a six mois encore, quand il vint rencontrer des élèves qui avaient adoré ses livres, et qui furent ébahis par sa liberté et son humour, son expérience de loup-de-terre, ses récits homériques, son charisme.

Il y avait chez Bouvier une vraie passion de l'autre, de l'étranger, de l'inconnu, de l'inouï, du merveilleux qui prend souvent les apparences de la plus grande banalité. Car cet homme qui adorait parler (il avait des rapports étranges avec sa langue, à la fois de douleur et d'extrême sensualité), cet homme était toujours en quête d'un secret à déchiffrer sous l'écorce des choses ou le cœur nu de ses semblables.

*

Comme Cingria ou Cendrars, Nicolas Bouvier fut de ces écrivains qui ne tiennent pas en place, que ce pays étouffe et qui ne rêvent que d'évasion : toujours ailleurs, le nez dans les étoiles, le regard aspiré par l'Orient – lieu mythique de l'Origine, mais carrefour, aussi, de toutes les déroutes.

Pourtant, à la différence de ses maîtres, Bouvier partait pour mieux revenir, et c'est ici, à chaque fois, dans la maison familiale de Cologny, parmi les siens, qu'il reprenait ses notes et ses carnets de route, inlassablement, avec obstination, pour en extraire, par la magie de l'écriture, un tout autre voyage que le périple effectué sur le terrain : un voyage second qui réinventait le premier, l'éclairait d'une autre lumière, souvent violente, et lui faisait rendre gorge.

*

Il a écrit des livres inestimables, qui sont sans doute ce que ce petit coin de terre a produit de plus beau, tout à la fois récits initiatiques et élégies, histoires d'épouvante et traités de sagesse, journal de bord et conte de fées. Mais ces livres, malgré l'extraordinaire don poétique de Bouvier, ne se sont pas écrits tout seuls. La plupart ont nécessité des années de labeur (plus de seize ans pour le Poisson-scorpion). Car à chaque fois, il s'agissait pour lui d'un exorcisme : par la magie blanche des mots, le travail incessant de la main qui voyage sur la feuille de papier (son écriture était " sismographique "), à la manière des vieux maîtres japonais, il essayait de conjurer la magie noire de l'existence.

Cette (double) magie, on la retrouve bien sûr dans Le poisson-scorpion (1980) qui est peut-être le plus beau de ses livres, le plus désespéré, mais également le plus vivant, " bourré comme un pétard d'humour, de sagesse et d'espoir. " Mais on la trouve déjà dans L'Usage du monde (1963), ce récit d'un périple jusqu'aux Indes avec son presque frère, le peintre Thierry Vernet, devenu " livre-culte " pour toute une génération d'aventuriers, ou encore dans le magnifique et âpre Journal d'Aran (1990), qui marque la fascination de Bouvier pour les îles au climat rude ou désolé (Ceylan, Japon, Irlande).

*

" Il y a plus lent que Nicolas Bouvier et les frères Polo, écrivait Gilles Lapouge dans La Quinzaine littéraire. Il y a les as de la critique française qui ont réfléchi trente années avant de découvrir que ce Suisse en balade est l'un des grands écrivains de ce temps. "

Pour ce génial voyageur de la langue, la reconnaissance est arrivée bien tard. Paris a été longtemps sourd aux charmes de cette écriture qui sait mêler si bien le savoir des pays et des hommes aux saveurs singulières de l'expérience des sens. Mais qu'importe ! Dans ce silence injuste, Bouvier a rejoint Cingria, son vieux complice, et même Ramuz, que la France ignora trop longtemps. On peut se trouver en moins bonne compagnie.

*

C'est avant-hier, à la veille de son anniversaire (il aurait eu 69 ans le 6 mars), que Nicolas Bouvier est reparti, pour un autre voyage encore, le nez dans les étoiles, comme toujours, et le regard rivé au-dessus du Salève, vers cet Orient qui l'aura tant fasciné.

Il est parti " dans la sérénité ", comme l'a confié son épouse Éliane, après une maladie contre laquelle il se battait depuis longtemps, avec ses armes inimitables (la ténacité, la distance ironique), et qui finalement a eu le dernier mot.

Mais nul doute que là-bas, de l'autre côté du monde, il continuera à écrire.

So long, Nicolas, and take care !

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NICOLAS BOUVIER
Le poisson-scorpion, Folio et
L'Échappée belle, Métropolis, 1996.

 

L'année Bouvier

" Il y a plus lents que Nicolas Bouvier et que les frères Polo, écrivait Gilles Lapouge. Il y a les as de la critique littéraire française qui ont réfléchi trente années avant de découvrir que ce Suisse en balade est l'un des plus grands écrivains de son temps. " Cette vérité, qu'on oublie si souvent, n'aura jamais sans doute été aussi vivante que cette année, qui voit la parution, ou la réédition, de plusieurs textes de Bouvier, ou d'ouvrages consacrés à son œuvre.

Reprenons : il aura fallu près de quatorze ans pour que Gallimard se décide à reprendre ce texte fondamental (et épuisé depuis longtemps) qui s'appelle Le poisson-scorpion, terrible exploration des puissances maléfiques de Ceylan, aux confins du rêve et de la folie, et qui demeure le livre-phare de Bouvier. Heureusement, ce texte est enfin disponible, en édition de poche, et chacun, désormais, peut s'y replonger à son aise – et à ses risques et périls, tant ce livre, malgré le temps qui passe, a conservé intacte toute sa force sulfureuse et son poison magique.

En même temps que ce récit paraît aux Éditions Métropolis L'Échappée belle, éloge de quelques pérégrins, un recueil de textes consacrés aux grands Suisses vagabonds, tous atteints, comme Bouvier, de ce qu'il nomme joliment la " claustrophobia alpina ", tels Thomas Platter, Paracelse ou Rousseau. Ce recueil fera date, non seulement parce qu'il s'engage avec ferveur contre l'idée reçue que la littérature romande (et plus encore : le littérature genevoise) est uniquement introspective, contrite et refermée sur elle-même, mais aussi par le texte qui ouvre le recueil, intitulé Éloge de la Suisse nomade, qui est une sorte de manifeste pour une Suisse accueillante, à la fois, et vagabonde, n'hésitant pas à se frotter au monde pour aller de l'avant.

Des textes pénétrants sur Gobineau, Ramuz, Henri Michaux, complètent ce recueil, qui rend hommage, également, aux amis disparus de Bouvier (comme Lorenzo Pestelli et Louis Gaulis) et aux grands compagnons de route que sont Vahé Godel, Ella Maillard ou Kenneth White.

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