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JACQUES
CHESSEX
Le désir de la neige, Grasset, 2002.
LA
NEIGE ET LE ROYAUME
Depuis toujours,
Jacques Chessex pratique la poésie, non comme une sorte
de supplément d'âme, de loisir exaltant, mais comme
une véritable discipline (" à chaque jour
son poème ") qui a ses exigences et ses risques.
Le désir de la neige est une manière de
journal intime, chaque jour remis sur le métier, qui
tisse au fil du temps un réseau fascinant de souvenirs
et d'impressions, d'images et de sensations vraies. Le point
de départ en est parfois une lecture (La Fontaine), quelquefois
le passage furtif d'un chat, une promenade dans la forêt,
l'admiration devant les montagnes bleues, le souvenir des amis
disparus (très belle évocation du journaliste
et sinologue Christian Sulser) et surtout la neige.
" La neige
est une invitation au vide
À
la réflexion sur l'absence de son et de forme
À l'amour
de moi sans aucune aide que la perte de moi "
Il y a dans cette
suite de poèmes de haute tenue plus qu'une acceptation
(une résignation) de l'humaine condition c'est-à-dire
de la mort. Il y a le désir de se fondre à la
terre et à l'air, de disparaître enfin du monde
pour féconder encore une fois (mais invisiblement) la
terre où reposent les morts. Apaisement, dissolution
" dans l'absence de toute pensée du monde ",
désir irrépressible de rejoindre cette blancheur
enveloppante et bienfaitrice. Effacement du moi devant les forces
lumineuses de la nature. Si le poème est la cendre d'un
événement secret (ce qui reste d'un désastre
magnifique), Le désir de la neige brasse ces cendres
avec délice. On y retrouve non seulement tout Chessex,
mais aussi tous les Chessex (le romancier, le chroniqueur, l'iconolâtre,
le peintre et le musicien). Toutes les facettes à vif
et miroitantes d'un écrivain protéiforme.
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JACQUES
CHESSEX
Transcendance et transgression, entretiens avec Geneviève
Bridel, La Bibliothèque des Arts, 2002.
La
parole de Jacques Chessex
Il
y a plus de vingt ans, Jacques Chessex s'entretenait avec le
journaliste Jérôme Garcin dans un livre passionnant.
C'est une autre journaliste, Geneviève Bridel, qui interroge
aujourd'hui l'écrivain dans un petit livre passionnant.
"
Pourquoi écrire sur la vie d'un écrivain ?
demandait Marguerite Duras. Ses livres devraient suffire.
" Plus qu'à nul autre, cette phrase semble s'accorder
à Jacques Chessex, dont l'uvre tout entière
nous parle de lui. Surtout depuis une dizaine d'années
où les livres qui se suivent à un rythme soutenu
empruntent les chemins de l'autobiographie, qu'il s'agisse des
magnifiques chroniques de L'Imparfait (Bernard Campiche,
1996) ou du provocateur Monsieur (Grasset, 2001). À
travers tous ses livres, Chessex se dévoile donc de plus
en plus. À quoi bon, alors, en rajouter ? C'est le talent
de Genevièvre Bridel d'avoir interrogé Chessex
en refusant d'ériger sa statue ou de prêter sa
plume à une entreprise hagiographique. Chessex se livre
ici, comme il aime le faire, à un éclairage quelquefois
cru et sans concession sur ses démons passés (l'alcool,
le suicide de son père) et ses merveilles (ses enfants,
sa passion de la peinture, l'irrésistible appel
de l'uvre en lui). En revisitant sa vie, Geneviève
Bridel n'a pas peur de sonder l'obscur, ni de raviver d'anciennes
blessures. Le seul regret qu'on aît à la lecture
de ces entretiens (où l'on apprend beaucoup sur les influences
de Chessex, son plaisir d'enseigner, l'interrogation métaphysique
qui est au centre de son écriture), c'est le silence
du maître sur la création littéraire d'aujourd'hui,
en Suisse romande et ailleurs.
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JACQUES
CHESSEX
L'Imitation, Grasset, 1998.
Les
riches heures de la littérature vaudoise
Peu
de cantons, en Suisse, peuvent se vanter d'une tradition littéraire
aussi riche et variée que le canton de Vaud qui inventa,
grâce aux Cahiers vaudois, ce qu'on appelle aujourd'hui
la " littérature romande ". Aujourd'hui, cette
littérature est plus abondante que jamais, singulière
et diverse. Passage en revue des dernières parutions.
Ils
sont rares, aujourd'hui, les ouvrages qui suscitent des réactions
aussi violentes et contrastées que ceux de Jacques Chessex.
Ainsi L'Imitation, dernier roman de l'écrivain
vaudois, a-t-elle été couverte de louanges à
Paris et attaquée souvent bassement, sinon de manière
injurieuse, par quelques plumitifs locaux. Mais sans doute est-ce
le sort des grands créateurs d'alimenter la haine et
les frustrations des censeurs impuissants
Parlons
net : L'Imitation est non seulement le livre d'un grand
écrivain, c'est aussi un grand livre. Chessex y apparaît
au meilleur de sa forme : ample et profond, ludique, d'une imagination
constamment libre et inspirée. A travers la figure de
Jacques-Adolphe, qui essaie de calquer sa vie et ses amours
sur celles de Benjamin Constant, Chessex nous donne un roman
en abyme, comme chez son maître Flaubert, où
le récit se double constamment d'une réflexion
originale sur l'écriture.
Écrire
sa vie ou vivre son écriture ? C'est le dilemme à
la fois torturant et délicieux, vertigineux et sans issue,
qui déchire le héros de L'Imitation. Si
la Nature, comme l'écrivait Wilde, n'est que l'imitation
de l'Art, qu'est-ce donc qu'écrire ? Imiter la Nature
qui imite l'Art ? Et peut-on, sans danger, vivre ainsi dans
l'imitation ?
Mais
comment échapper à ce désir mimétique
qui permet à chacun de se former, de s'inventer, et finalement
de s'écrire ? On sent, dans ces pages, toute l'admiration
de Chessex pour Constant, et le rôle essentiel que celui-ci
a joué dans l'élaboration de sa propre poétique.
On y retrouve aussi une force, comme renouvelée, et une
liberté de ton qui faisaient tout le prix de Carabas,
par exemple, ou de L'Ogre, récompensé par
le Goncourt 1973.
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JACQUES
CHESSEX
L'Imparfait et Cantique, poésie, Campiche, 1996.
L'imparfait
Au
fil des ans, l'uvre de Jacques Chessex se ramifie : à
Paris, il publie ses nouvelles, romans, récits destinés
à un large public ; à Yvonand, chez Bernard Campiche,
il poursuit une exigente entreprise d'élucidation
qui, pour être plus secrète, sans doute, que l'uvre
romanesque, n'en est pas moins fascinante par son richesse,
et qui éclaire l'autre.
Car
c'est précisément sous le signe de la lumière,
que s'ouvre L'Imparfait, une chronique sur l'enfance
(" On ne parle pas clairement de son enfance. "),
et les années si importantes de la formation littéraire.
Jamais, ou presque, Chessex n'avait abordé avec tant
de franchise la maison familiale de Pully, " d'un gris
foncé étrangement lumineux ", qui se
vide, peu à peu, de ses occupants, vers la fin des années
quarante, et la haute figure de son père, le linguiste
Pierre Chessex, qu'" espèce de fureur portait
très vite en avant ".
Tirées
de l'ombre, et comme ressuscitées, surgissent ici des
figures familières, comme Jacques Mercanton (qui fut
le premier à voir en Chessex un écrivain), Nicole,
la première bonne amie, mais aussi La Fontaine ou le
peintre Tal Coat, Miles Davis ou Charles Mingus, ces musiciens
par qui l'être est racheté de la dépendance,
parvenant à une forme de rédemption (d'autres
diraient : de réconciliation) que seuls le blues,
la peinture ou la poésie peuvent procurer à celui
qui la cherche
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JACQUES
CHESSEX
Morgane
Madrigal, Grasset, 1990.
LA
VIE EST UN COLLAGE
Après
trois années de silence, Jacques Chessex nous revient,
avec un roman étrange et foisonnant, au titre mystérieux,
Morgane Madrigal. Mais est-ce bien un roman ? Rien n'est
moins sûr... Un récit alors, sorte de confession
déguisée ? Méfions-nous des apparences...
Non
: s'il est un genre auquel on pourrait rattacher ce livre déroutant,
qui jongle habilement les genres, qui mélange à
plaisir poèmes et extraits de correspondance, roman et
(faux) journal intime, ce serait plutôt le collage, tel
que le pratiquaient les membres du groupe surréaliste,
dans les années 20. Un collage où les mots seraient
à la trame du roman ce que les images (dessins, fragments
de journaux, papiers collés) sont au tableau. Entendez
par là que Chessex, dans une verve éblouissante,
met bout à bout tantôt en respectant un
semblant de narration, tantôt dans un savant désordre
des séquences qui, tels les montages de Max Ernst
ou de Paul Klee, s'engendrent l'une l'autre selon le principe
souverain de la libre association.
Tout
commence ici (mais le livre n'a vraiment ni commencement ni
fin) à Berne, le 7 février 1989, devant un tableau
de Max Ersnt. Scène primitive : en arrêt devant
ce collage, Vincent aperçoit, en même temps, comme
en surimpresssion, le regard d'une jeune femme inconnue. Il
se laisse détourner, un instant, du tableau, pour croiser
son regard à elle. C'est ainsi que l'image, par sa force
de distraction, provoque une rencontre qui va se jouer sur le
mode de la fascination.
Comme
Nadja, "l'âme errante" qui inspire à Breton son
livre le plus cruel, cette jeune femme apparaît toute
à la fois comme l'initiatrice (aux mystères amoureux)
et l'inspiratrice (elle veut "poser pour lui", le nourrir d'images
et de fantasmes qui nourriront, à leur tour, ses propres
livres). D'ailleurs, elle porte un nom de fée, où
se lit déjà la marque du destin, Morgane, et se
révèle, bien sûr, un peu sorcière,
le conviant à des sortes de messes noires où son
sexe ("rose cathédrale", "il du dedans", "porte
du labyrinthe", "mollusque magique"...) tient lieu, si l'on
peut dire, de vase du Graal.
A
partir de là, scène première de fascination
au Kunstmuseum, se noue une relation proprement médusante
entre Morgane et Vincent, dit le Délirant. Il cherche
à la scruter, à déchiffrer ses signes et
ses symboles, à lire dans les arabesques de son corps
les lignes de son propre destin. Il entre alors dans une fascination
où il se sent lentement fondu (et) enchaîné
par Morgane, devenue Mélusine, puis Méduse, grande
prêtresses des joutes sexuelles.
Instaurée
devant une image, cette relation se poursuit bientôt par
écrit. Elle s'exacerbe et s'accomplit par les mots. Chacun
se découvre un peu plus dans une correspondance violente
et passionnée. Chacun sonde l'autre à distance,
elle depuis Berne, lui depuis Lausanne. Chacun cherche à
percer l'autre à jour.
Mais
comment fixer le vertige ? Déjouer la fascination ?
Ainsi,
de l'image au regard, puis du regard aux mots, le livre évolue-t-il
vers une espèce de lyrisme violent et débridé.
L'amour devient prétexte à une célébration
des langues mêlées, fondues, soudées dans
un même flux verbal. La langue, alors, se met à
chanter, à travers toutes les lettres de cette correspondance
libertine où Vincent, au fil des jours, se sent happé
par Morgane, au point de chercher finalement à s'enfouir
en elle, et d'y trouver une manière de doux anéantissement.
Le
livre s'achève sur une image, qui est aussi un mot (d'ailleurs
contenu, en abîme, dans le nom de Morgane). Après
plusieurs mois de silence, la magicienne l'informe, brutalement,
de la mort de sa mère. Ils se retrouvent au cimetière,
puis elle le mène dans l'appartement de la mère
où elle se donne une dernière fois à lui.
C'est là, brusquement, que Vincent a l'intuition du secret
de Morgane : la mort qu'elle porte en elle, la mort qui se terre
dans les replis de son prénom, mais aussi de sa langue,
de sa bouche, de son sexe, c'est elle qui est chargée
de la lui apporter. Elle est l'accomplissement de la relation
magique qui les noue l'un à l'autre. Sous l'image médusante,
sous le feu des regards, il y a la mort qui rôde, sombre
et souveraine.
Grâce
à Morgane, grâce aux images et aux mots qu'elle
lui dédie comme autant d'énigmes à déchiffrer,
Jacques Chessex nous montre les étapes d'une lente et
lumineuse fascination. Inventive, savante, constamment inspirée
sa langue, a la ferveur des amours pétrifiantes. Rarement,
on aura su fondre, dans un même récrit, la naissance
d'une passion et le chant d'une langue souveraine, qui semble
à chaque instant atteindre au point extrême de
fusion, au centre d'or et de silence qui en constitue le noyau
secret.
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