FEUILLETON LITTÉRAIRE
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Dernière mise à jour le 22 juillet 2004

FEUILLETON LITTÉRAIRE

BERNADETTE RICHARD
Femmes de sable, L'Âge d'Homme, 2002.

 

Destins de femme

Loin des sentiers battus, depuis près de vingt ans, Bernadette Richard poursuit une œuvre exigeante et solitaire qui mélange le roman, la nouvelle, le théâtre et les préfaces consacrées aux peintres qu'elle aime (Minala, Luc Marelli, Francine Mury). Après ses Nouvelles égyptiennes (1999) et un roman initiatique fort bien construit, Et si l'ailleurs était nulle part, cette écrivaine nomade, " qui vit un peu en France, un peu en Suisse, le reste ailleurs ", nous donne un beau roman sur l'amitié féminine et la quête éperdue de liberté, Femmes de sable.

C'est un livre étrange et passionnant, qui se présente comme un triptyque, et dont chaque chapitre porte le nom d'une femme : Maha et Julie, Shagara, Samar. Mais davantage qu'une galerie de portraits (où Bernadette Richard excelle, d'ailleurs, par sa plume acérée), ce roman est l'histoire de plusieurs amitiés. Julie est photographe, Maha traductrice, Shagara potière et Samar écrit de la poésie. Toutes issues d'horizons disparates (sauf Julie, la Parisienne, dont on sait peu de choses), elles se sont battues contre les lois patriarcales de leur famille, ont quitté mari, père et parfois enfant pour aller jusqu'au bout de leur liberté.

C'est au Caire, ville depuis longtemps décrite et fantasmée par Bernadette Richard, que le roman se joue, entre les quartiers populaires de la mégapole, les charmes d'Alexandrie toute proche et la fascination (ancienne, profonde, absolue) du désert. Julie retrouve Maha, puis Shagara, puis enfin Samar qui vient – encore une fois – de prendre la fuite. Au fil des rencontres, Bernadette Richard dessine avec beaucoup de justesse la complicité qui lie les quatre étrangères, unies comme les doigts de la main dans leur révolte, leur désir d'absolu et leur totale franchise.

L'amitié est le lieu à la fois de la confidence et du combat (et la vie d'une femme égyptienne est un combat de chaque jour). Soudées par leur complicité, les quatre femmes trouvent ici la force d'assumer leur destin singulier. Car chacune est en rupture de ban, pourrait-on dire, fâchée avec les hommes, la société, l'ordre des choses, la tradition ou la morale bourgeoise. Même si leur destin est fragile (n'oublions pas qu'elles sont toutes des Femmes de sable), Bernadette Richard dessine le lieu d'une amitié rêvée qui permet de concilier (ou de réconcilier) le bonheur et la lutte, l'exigence personnelle et l'amour de l'autre, la douleur des séparations et la joie des retrouvailles. Un très beau texte.

 

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BERNADETTE RICHARD
Et si l'ailleurs était nulle part, L'Âge d'Homme, 2000.

 

Un roman de l'errance

Avec son dernier livre, Et si l'ailleurs était nulle part, c'est le roman d'une vie que nous donne Bernadette Richard : riche en péripéties et dense en émotions, c'est à la fois une roman d'aventures et un récit initiatique. À lire d'urgence.

Il y a des livres de circonstance et des romans qu'on porte en soi depuis toujours, comme une hantise ou un rêve irréalisable. Et si l'ailleurs était nulle part est de ceux-là, et cela se remarque dès la première ligne. Un ton particulier. Un récit qui s'engage très vite (et très bien) sur des rails implacables. Un univers, enfin, qui prend forme sous nos yeux avec ses personnages farouches et tourmentés, tous en quête d'un ailleurs introuvable.

Journaliste et chroniqueuse pour les arts plastiques (on lui doit, entre autres, un splendide hommage au peintre Luc Marelli**), auteur aussi de nombreux textes de fiction (romans, nouvelles, pièces de théâtre), Bernadette Richard a beaucoup bourlingué. Elle a vécu longtemps à Paris, avant de revenir en Suisse. Aujourd'hui, elle partage sa vie entre la Suisse (où elle est journaliste) et l'étranger (où elle écrit ses textes de fiction).

Zichka le rebelle

Le temps, voilà peut-être la matière principale de Et si l'ailleurs était nulle part. Non seulement parce que l'auteur a pris son temps pour l'écrire (plus de 16 années de travail), le reprenant sans cesse et le laissant mûrir, en ciselant chaque phrase méticuleusement, comme on sculpte une statue, jour après jour, pour lui donner sa forme définitive. Mais aussi parce que le temps est la matière mystérieuse de la vie de Zichka, le personnage central du livre, sans cesse hanté, appelé, convoqué par un ailleurs qui l'oblige à quitter ceux qu'il aime pour se laisser entraîner sur les routes du monde.

C'est ainsi que débute le livre : abandonnant son village dans les montagnes, ainsi que son enfant et sa mère de celui-ci, Zichka, appelé aussi le Rebelle (à cause des questions qu'il pose sans arrêt), se lance un jour à l'aventure. Pour suivre son chemin, que lui seul peut tracer, il devra affronter mille épreuves et mille tourments.

L'initiation

Première étape de ce voyage initiatique : le désert où Zichka, " où les femmes vivent libres et sans voile ", où la joie règne en maîtresse. À travers les rencontres et l'expérience, aussi, de la solitude, il réalisera avec tristesse que " partout où il passe, il n'est qu'un étranger. " C'est là, pourtant, que Zichka apprendra les rudiments du métier d'artiste qui lui permettront de tailler la pierre, et de tirer de la matière inerte des formes magnifiques.

Quittant tout à nouveau, Zichka s'embarque pour la cité de fer et de verre (qui ressemble fort à l'Amérique). C'est là, dans cette jungle " organisée, chaotique, majestueuse ", qu'il engage de nouveaux combats, politiques et sociaux. Il participe aux mouvements de contestation et se lie d'amitié avec un philosophe qui prépare la révolution. Mais dans le désert de cette ville, comme dirait Baudelaire, le temps s'étiole et le Rebelle a l'impression de tourner en rond. Riche de ses nouvelles expériences, il ressent à nouveau le besoin de partir.

Le retour qu'il amorce et qui va le mener " chez lui " n'est pas facile. Il comporte des doutes et des questions, des détours, aussi, qui le conduisent au bord de la folie. Et quand il reverra enfin les gens de son village, personne, ou presque, ne le reconnaîtra. Le voyage qu'il a accompli pour se construire – cette quête lente et difficile de soi-même – l'aura rendu comme étranger aux yeux des autres. C'est le prix à payer pour conquérir cet ailleurs que chacun porte en soi, mais obscur et souvent renié.

Avec Et si l'ailleurs était nulle part, Bernadette Richard signe un grand livre, à la fois ample et ambitieux, d'une écriture souple et tendue, comme une blessure à vif.

* Bernadette Richard, Luc Marelli ou le regard qui dénude, Kunstmuseum, Olten.

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BERNADETTE RICHARD
Nouvelles égyptiennes (et histoires d'ailleurs), L'Âge d'Homme, 1999.

 

Amours brûlées

Dans un recueil au titre à la fois transparent et secret, Nouvelles égyptiennes, Bernadette Richard nous donne douze textes écrits entre 1988 et 1997 tantôt au Caire, tantôt en Italie, presque toujours à l'étranger. Ce n'est pas un hasard, bien sûr, pour qui connaît cette femme remarquable qui partage sa vie entre la Suisse où elle est journaliste (à L'Hebdo et au Quotidien jurassien) et l'Italie, le Canada ou l'Égypte (où elle écrit romans, nouvelles et pièces de théâtre).

Si l'Égypte est présente (et de quelle manière !) dans ces nouvelles, tant par ses habitants, sa musique, ses parfums, ses paysages hallucinés, elle n'est qu'un des lieux qu'arpente Bernadette Richard : lieu de l'amour et de la disparition, de la mémoire et de l'oubli.

Chacune de ces nouvelles – dans une langue très précise, très directe : elle aussi calcinée – met en scène une brûlure, vécue dans la fournaise du désert ou dans l'indifférence des villes, dans un village jurassien ou à Paris. Cette douleur nomade, qui pourrait conférer au recueil un caractère de dispersion, lui donne une très grande unité, à la fois par ses thèmes, qui se recoupent sans cesse (les amours furtives, l'exil, la hantise de la mort, les animaux tutélaires), et par ses personnages, la plupart esquissés, seulement, comme en ombre chinoise, mais d'une présence inoubliable.

Qu'elle évoque le corps d'un ancien amant, le visage d'une prostituée du Caire " précédée par la fumée d'une cigarette au goût de cannelle ", le chat Pompon ou les amours, exotiques et déjà mortes, nées sous le signe du chien du Nil, Bernadette Richard conjugue avec beaucoup de talent les thèmes graves et l'ironie salvatrice. En peu de mots, ses Nouvelles égyptiennes touchent au cœur même de l'écriture (c'est-à-dire l'émotion) : dans cette zone obscure et périlleuse où peu d'écrivains, aujourd'hui, osent porter leur plume. Il faut les lire de toute urgence.

 

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