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BERNADETTE
RICHARD
Femmes de sable, L'Âge d'Homme, 2002.
Destins de femme
Loin des sentiers
battus, depuis près de vingt ans, Bernadette Richard
poursuit une uvre exigeante et solitaire qui mélange
le roman, la nouvelle, le théâtre et les préfaces
consacrées aux peintres qu'elle aime (Minala, Luc Marelli,
Francine Mury). Après ses Nouvelles égyptiennes
(1999) et un roman initiatique fort bien construit, Et si
l'ailleurs était nulle part, cette écrivaine
nomade, " qui vit un peu en France, un peu en Suisse, le
reste ailleurs ", nous donne un beau roman sur l'amitié
féminine et la quête éperdue de liberté,
Femmes de sable.
C'est un livre
étrange et passionnant, qui se présente comme
un triptyque, et dont chaque chapitre porte le nom d'une femme
: Maha et Julie, Shagara, Samar. Mais davantage qu'une galerie
de portraits (où Bernadette Richard excelle, d'ailleurs,
par sa plume acérée), ce roman est l'histoire
de plusieurs amitiés. Julie est photographe, Maha traductrice,
Shagara potière et Samar écrit de la poésie.
Toutes issues d'horizons disparates (sauf Julie, la Parisienne,
dont on sait peu de choses), elles se sont battues contre les
lois patriarcales de leur famille, ont quitté mari, père
et parfois enfant pour aller jusqu'au bout de leur liberté.
C'est au Caire,
ville depuis longtemps décrite et fantasmée par
Bernadette Richard, que le roman se joue, entre les quartiers
populaires de la mégapole, les charmes d'Alexandrie toute
proche et la fascination (ancienne, profonde, absolue) du désert.
Julie retrouve Maha, puis Shagara, puis enfin Samar qui vient
encore une fois de prendre la fuite. Au fil des
rencontres, Bernadette Richard dessine avec beaucoup de justesse
la complicité qui lie les quatre étrangères,
unies comme les doigts de la main dans leur révolte,
leur désir d'absolu et leur totale franchise.
L'amitié
est le lieu à la fois de la confidence et du combat (et
la vie d'une femme égyptienne est un combat de chaque
jour). Soudées par leur complicité, les quatre
femmes trouvent ici la force d'assumer leur destin singulier.
Car chacune est en rupture de ban, pourrait-on dire, fâchée
avec les hommes, la société, l'ordre des choses,
la tradition ou la morale bourgeoise. Même si leur destin
est fragile (n'oublions pas qu'elles sont toutes des Femmes
de sable), Bernadette Richard dessine le lieu d'une amitié
rêvée qui permet de concilier (ou de réconcilier)
le bonheur et la lutte, l'exigence personnelle et l'amour de
l'autre, la douleur des séparations et la joie des retrouvailles.
Un très beau texte.
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BERNADETTE
RICHARD
Et si l'ailleurs était nulle part,
L'Âge d'Homme, 2000.
Un
roman de l'errance
Avec
son dernier livre, Et si l'ailleurs était nulle part,
c'est le roman d'une vie que nous donne Bernadette Richard :
riche en péripéties et dense en émotions,
c'est à la fois une roman d'aventures et un récit
initiatique. À lire d'urgence.
Il
y a des livres de circonstance et des romans qu'on porte en
soi depuis toujours, comme une hantise ou un rêve irréalisable.
Et si l'ailleurs était nulle part est de ceux-là,
et cela se remarque dès la première ligne. Un
ton particulier. Un récit qui s'engage très vite
(et très bien) sur des rails implacables. Un univers,
enfin, qui prend forme sous nos yeux avec ses personnages farouches
et tourmentés, tous en quête d'un ailleurs introuvable.
Journaliste
et chroniqueuse pour les arts plastiques (on lui doit, entre
autres, un splendide hommage au peintre Luc Marelli**), auteur
aussi de nombreux textes de fiction (romans, nouvelles, pièces
de théâtre), Bernadette Richard a beaucoup bourlingué.
Elle a vécu longtemps à Paris, avant de revenir
en Suisse. Aujourd'hui, elle partage sa vie entre la Suisse
(où elle est journaliste) et l'étranger (où
elle écrit ses textes de fiction).
Zichka
le rebelle
Le
temps, voilà peut-être la matière principale
de Et si l'ailleurs était nulle part. Non seulement
parce que l'auteur a pris son temps pour l'écrire (plus
de 16 années de travail), le reprenant sans cesse et
le laissant mûrir, en ciselant chaque phrase méticuleusement,
comme on sculpte une statue, jour après jour, pour lui
donner sa forme définitive. Mais aussi parce que le temps
est la matière mystérieuse de la vie de Zichka,
le personnage central du livre, sans cesse hanté, appelé,
convoqué par un ailleurs qui l'oblige à quitter
ceux qu'il aime pour se laisser entraîner sur les routes
du monde.
C'est
ainsi que débute le livre : abandonnant son village dans
les montagnes, ainsi que son enfant et sa mère de celui-ci,
Zichka, appelé aussi le Rebelle (à cause des questions
qu'il pose sans arrêt), se lance un jour à l'aventure.
Pour suivre son chemin, que lui seul peut tracer, il devra affronter
mille épreuves et mille tourments.
L'initiation
Première
étape de ce voyage initiatique : le désert où
Zichka, " où les femmes vivent libres et sans voile
", où la joie règne en maîtresse. À
travers les rencontres et l'expérience, aussi, de la
solitude, il réalisera avec tristesse que " partout
où il passe, il n'est qu'un étranger. " C'est
là, pourtant, que Zichka apprendra les rudiments du métier
d'artiste qui lui permettront de tailler la pierre, et de tirer
de la matière inerte des formes magnifiques.
Quittant
tout à nouveau, Zichka s'embarque pour la cité
de fer et de verre (qui ressemble fort à l'Amérique).
C'est là, dans cette jungle " organisée,
chaotique, majestueuse ", qu'il engage de nouveaux combats,
politiques et sociaux. Il participe aux mouvements de contestation
et se lie d'amitié avec un philosophe qui prépare
la révolution. Mais dans le désert de cette ville,
comme dirait Baudelaire, le temps s'étiole et le Rebelle
a l'impression de tourner en rond. Riche de ses nouvelles expériences,
il ressent à nouveau le besoin de partir.
Le
retour qu'il amorce et qui va le mener " chez lui "
n'est pas facile. Il comporte des doutes et des questions, des
détours, aussi, qui le conduisent au bord de la folie.
Et quand il reverra enfin les gens de son village, personne,
ou presque, ne le reconnaîtra. Le voyage qu'il a accompli
pour se construire cette quête lente et difficile
de soi-même l'aura rendu comme étranger
aux yeux des autres. C'est le prix à payer pour conquérir
cet ailleurs que chacun porte en soi, mais obscur et
souvent renié.
Avec
Et si l'ailleurs était nulle part, Bernadette
Richard signe un grand livre, à la fois ample et ambitieux,
d'une écriture souple et tendue, comme une blessure à
vif.
*
Bernadette Richard, Luc Marelli ou le regard qui dénude,
Kunstmuseum, Olten.
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BERNADETTE
RICHARD
Nouvelles égyptiennes (et histoires
d'ailleurs), L'Âge d'Homme, 1999.
Amours
brûlées
Dans
un recueil au titre à la fois transparent et secret,
Nouvelles égyptiennes, Bernadette Richard nous
donne douze textes écrits entre 1988 et 1997 tantôt
au Caire, tantôt en Italie, presque toujours à
l'étranger. Ce n'est pas un hasard, bien sûr, pour
qui connaît cette femme remarquable qui partage sa vie
entre la Suisse où elle est journaliste (à L'Hebdo
et au Quotidien jurassien) et l'Italie, le Canada ou
l'Égypte (où elle écrit romans, nouvelles
et pièces de théâtre).
Si
l'Égypte est présente (et de quelle manière
!) dans ces nouvelles, tant par ses habitants, sa musique, ses
parfums, ses paysages hallucinés, elle n'est qu'un des
lieux qu'arpente Bernadette Richard : lieu de l'amour et de
la disparition, de la mémoire et de l'oubli.
Chacune
de ces nouvelles dans une langue très précise,
très directe : elle aussi calcinée
met en scène une brûlure, vécue dans la
fournaise du désert ou dans l'indifférence des
villes, dans un village jurassien ou à Paris. Cette douleur
nomade, qui pourrait conférer au recueil un caractère
de dispersion, lui donne une très grande unité,
à la fois par ses thèmes, qui se recoupent sans
cesse (les amours furtives, l'exil, la hantise de la mort, les
animaux tutélaires), et par ses personnages, la plupart
esquissés, seulement, comme en ombre chinoise, mais d'une
présence inoubliable.
Qu'elle
évoque le corps d'un ancien amant, le visage d'une prostituée
du Caire " précédée par la fumée
d'une cigarette au goût de cannelle ", le chat
Pompon ou les amours, exotiques et déjà mortes,
nées sous le signe du chien du Nil, Bernadette Richard
conjugue avec beaucoup de talent les thèmes graves et
l'ironie salvatrice. En peu de mots, ses Nouvelles égyptiennes
touchent au cur même de l'écriture (c'est-à-dire
l'émotion) : dans cette zone obscure et périlleuse
où peu d'écrivains, aujourd'hui, osent porter
leur plume. Il faut les lire de toute urgence.
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