FEUILLETON LITTÉRAIRE
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Dernière mise à jour le 22 juillet 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

FEUILLETON LITTÉRAIRE

JEAN-FRANÇOIS DUVAL
Boston Blues, Phébus, 2000.

 

Le Blues de Duval

Il y a quelques mois, nous avions parlé du livre que Jean-François Duval avait consacré à Charles Bukowski, dernier géant de la Beat Generation rencontré en Californie dans une soirée quelque peu alcoolisée. Avec Boston Blues, son dernier livre, ce grand voyageur retrouve l'atmosphère glauque des bars, son précieux whisky (qui marque même la tranche du livre !), les rencontres d'un soir ou d'une nuit, les confidences sans fin.

Comme Nicolas Bouvier, son saint-patron littéraire, Duval s'est toujours senti à l'étroit dans son pays. Il n'est bien qu'ailleurs : sur les routes, dans les trains, les halls d'aéroport, les sentiers de montagne. Il se raconte ici, dans un bar de Boston, à un personnage qu'on ne pipe pas mot, mais qui sait écouter. C'est une suite de portraits d'étrangères (Liza, la petite Tatare, Lhamo la Thibétaine, Nava l'israélienne…) finement ciselés, des rencontres d'un soir ou de quelques jours, des occasions pour l'écrivain-voyageur de s'ouvrir à l'inconnu, d'atteindre aussi à une dimension autre de l'existence (car les femmes, pour Duval, sont des intercesseurs) qu'il recherche sans cesse..

Dans chaque endroit, donc, une femme inconnue, sorte de génie du lieu dépositaire des secrets de son peuple. Toujours curieux de l'autre, passionné de rencontres, Duval se cherche en ces terres étrangères où il avoue " être chez lui ", tel Ulysse parcourant le vaste monde pour mieux le raconter (à Télémaque ou Matteo) et en extraire les secrets de son âme.

Un très beau livre, furtif et sensuel, qui fait un sort, comme le disait Bouvier, aux cendres vives de l'expérience.

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JEAN-FRANÇOIS DUVAL
Buk et les Beats, suivi de Un soir chez Bukowski, Éditions Michalon, Paris, 1998.

 

Une soirée chez Charles Bukowski

Les Beats sont de retour !

Ce mois-ci, les enfants de Mai 68 fêtent leur trentième anniversaire ! C'est le moment de se poser les vraies questions : que reste-t-il de ces années de braise ? Et que sont devenus ceux par qui le scandale est arrivé ? Lit-on encore ces " écrivains-cultes " (comme on dit aujourd'hui) qui ont subrepticement, et quelquefois sans le vouloir, enclenché une agitation majeure ? Un livre passionnant, dû à la plume inspirée de Jean-François Duval, grand reporter et connaisseur de la beat generation, nous aide à faire toute la lumière sur ces questions.

Il faut se méfier des commémorations : c'est d'habitude le meilleur moyen d'effacer tout ce qu'un événement a eu de violemment nouveau et irruptif à son époque. C'est aussi le meilleur moyen de le récupérer, ou plutôt de récupérer ce qui peut encore l'être (c'est-à-dire ce qui est inoffensif). Enfin, bien sûr, c'est le meilleur moyen de l'enterrer – fût-ce sous les gerbes d'hommages.

Rien de tout ça, on l'imagine, dans le superbe livre de Jean-François Duval. D'abord parce qu'il n'y a dans son propos rien de démonstratif ou de bêtement militant (c'est-à-dire limitant). Ensuite parce que Duval, qui a beaucoup vécu et voyagé, est sans doute aujourd'hui l'un des meilleurs experts de cette période passionnante de notre histoire.

L'empreinte des Beats

Les Beats, c'est d'abord un certain souffle que Jack Kerouac définissait comme " béatitiude " (autant zen que catholique), comme " battement du cœur " ou encore comme " rythme " (beat qui a donné son nom aux Beatles). Tout est né vers la fin de guerre, en 1944, du côté de Times Square, à New York, où se sont rencontrés Herbert Huncke, William Burroughs, Allen Ginsberg et le mythique Jack Kerouac (dont le roman On the Road deviendra le manifeste de la beat generation).

Duval rapproche avec justesse ce mouvement des existentialistes (Sartre, Vian, Greco, Genet) qui, vers la même époque, se retrouvaient dans les caves de Saint-Germain des Prés. La grande différence tient seulement à leur postérité : alors que l'existentialisme, au fond, a connu une mort lente jusqu'à la disparition de Sartre, son maître-penseur, les Beats ont engendré toute une progéniture plus ou moins reconnue qui va de Bob Dylan à Kurt Cobain, en passant par les hippies, la contestation de 1968, Woodstock, l'écologie et même le mouvement grunge.

Mais qui sont les Beats ? Sous l'influence de William Burroughs, ils sont séduits par les mauvais garçons, l'univers interlope de la nuit, le monde du crime et le vie sur les routes, sans famille ni domicile fixes. C'est là, dans l'errance (et souvent la défonce), qu'ils composent cet hymne unique à la liberté reconquise que sont leurs œuvres : les cut-up de Burroughs, les poèmes psalmodiés de Ginsberg, les romans d'aventure de Kerouac ou de celui qui fut son idole, Neal Cassady.

Buk le satyre

Anne Waldman (cofondatrice avec Ginsberg et Kerouac de School of Disembodied Poetics, à Bolder, dans le Colorado) en trace un portrait saisissant. Timothy Leary ? C'est la figure du charlatan, du filou, du renard. Burroughs ? C'est l'homme de l'ombre, invisible, l'agent secret. Ginsberg ? Le vieux fou qui, jusqu'à la fin de sa vie, bondit en l'air, danse et chante sans crainte du ridicule.

Et Bukowski, alors, quelle place occupe-t-il dans cette constellation magique ? " Bukowski, c'est le vieux vilain, le personnage laid qu'on rencontre dans les contes de fées. On le dirait sorti d'un conte de Grimm ! C'est le personnage mythique du gnome, du bossu, le personnage disgracieux, la bête. Il incarne le côté répulsif, la figure effrayante et menaçante du père aussi. Il a l'aspect difforme du type qui suinte la souffrance et exerce un profond attrait sexuel. Mais en même temps, c'est quelqu'un qui s'exprime à merveille. Car il y a ce renversement : il est aussi l'artiste, le poète, l'écrivain, qui traduit par la parole cette vision singulière du monde, et qui y excelle. (…) il porte l'accent sur les aspects sordides de la vie et a le don de mettre à nu toute la lassitude du monde. "

On imagine que les rapports entre Buk et les Beats ne furent jamais simples, à cause du tempérament de feu de Kerouac ou Cassady, mais aussi parce que Charles Bukowski, plus jeune que ses amis (il est né en 1920), est l'élément incontrôlable, irréductible à toute forme de théorie ou de discipline de groupe. Et qu'il sera toujours un marginal – même avec des marginaux !

Duval restitue à merveille l'épopée des Beats (dont nous sommes tous les rejetons), leurs amours orageuses (Burroughs amoureux de Ginsberg, qui aimait Neal Cassady, qui aimait Carolyn…), leur désir d'évasion et leur voyage sans retour. Superbement illustré, son livre est une mine de renseignements : on y trouve une bibliographie complète des œuvres des Beats, un Who's Who des principaux acteurs du groupe et même des adresses Internet ! En outre, il s'enrichit d'un entretien inédit avec Bukowski, réalisé " un verre à la main ", en février 1986, à San Pedro, et qui est à lui seul un grand moment de poésie et de théâtre.

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