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LOUISE-ANNE
BOUCHARD
Vai Piano, L'Âge d'Homme, 2001.
Vai piano
Louise Anne Bouchard est née à
Montréal et vit en Suisse depuis douze ans. Photographe
de formation, scénariste et dialoguiste de films, elle
publie, tous les deux ans, de brefs romans convulsifs et déroutants.
On se souvient des Sans-soleil, paru en 1999, qui retraçait
dans une langue inimitable l'arrivée, dans un petit village
valaisan, d'une étrangère aussi étrange
qu'irréductible. Roman des rapports amoureux, de l'ouverture
(ou de la fermeture) à l'autre, des bouleversements progressifs
d'hommes et de femmes en proie à la passion
L'étrange et l'étranger se retrouvent
dans le dernier livre de Louise Anne Bouchard. Et d'abord dans
le titre, Vai piano, en italien, qui signifie "
va lentement ". Dans le thème, ensuite, puisque
le roman raconte le voyage en Sicile d'une belle étrangère
qui va tomber dans les bras (ou plutôt les filets) d'un
médecin de Taormina. L'histoire serait banale sans la
présence, constante et clandestine, du mari défunt
qui suit son ex pas à pas, jour après jour,
et surtout nuit après nuit. Mort et enterré, pourtant,
le mari n'a de cesse d'espionner sa femme, à qui il s'adresse
continuellement, dans une sorte de lettre ouverte adressée
à celle qu'il a perdue, mais qu'il continue de maîtriser
et de manipuler d'outre-tombe.
Passion extrême
Tout, chez Louise Anne Bouchard, est affaire
de regards et de mots. Regard d'une incroyable cruauté,
parfois, qui transperce les apparences, refuse les faux-semblants,
fait éclater au fil des pages une vérité
qui tantôt dérange (mais il ne faut pas tomber
dans le piège de cette provocation), et tantôt
éclaire d'une lumière nouvelle les relations amoureuses
(car chaque roman de Louise Anne Bouchard est le récit
d'une passion extrême, vécue jusqu'à
son paroxysme). Langage d'une grande inventivité, ensuite,
d'une musique nerveuse, d'une cadence régulière,
preuve d'une grande maîtrise de la langue. Quand les regards
et les mots se confondent, ou plutôt se répondent,
cela donne un feu d'artifice. Un vrai régal !
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LOUISE-ANNE
BOUCHARD
Les Sans-Soleil, roman, L'Âge d'Homme,
1999.
Un
livre incandescent
Certains
romans ont le pouvoir d'un exorcisme : sous le couvert d'un
récit maîtrisé, ils mettent au jour des
forces terrifiantes que la vie quotidienne, le plus souvent,
nous empêche de voir et de nommer. Les Sans-Soleil,
le dernier livre de Louise Anne Bouchard, est de ceux-là
: récit de rage et de douleur, d'impuissance, et surtout
d'épouvante, il brûle le lecteur comme sans doute
il a brûlé celle qui l'a écrit.
Déjà
dans La Douleur*, qui reçut en son temps le Prix
Contrepoint de littérature française, cette jeune
Canadienne établie à Lucerne mettait en scène
un personnage qui cherchait vainement à guérir
du passé. Elle se glisse aujourd'hui dans la peau d'un
notable de Lannaz, petit village perdu dans les montagnes valaisannes,
qui se raconte, en un long monologue, au psychiatre qui l'écoute.
Pris
dans le flux et reflux des paroles, " cette décoction
de l'âme ", l'homme raconte ce qui aura été
l'événement central de sa vie : sa rencontre avec
Nina l'étrangère, la femme libre, l'enragée
de parole et d'amour, celle qui vient donner un grand coup de
balai dans sa vie. Dès les premières pages de
ce roman incandescent, on voit que tout s'allume autour de ce
foyer secret : la rencontre de l'autre, les bouleversements
que cette rencontre produit, l'amour fou et la peur, la lente
dépossession de soi que toute passion entraîne.
Nina l'étrangère
Avec Nina, le narrateur ne s'ennuiera jamais
: " elle aura ces petits cycles colère, féministe,
rebelle, fille, amante, puis il y aura des accalmies: il faut
de l'énergie pour être capable de se maintenir
en rage constamment. " Mais bien sûr l'étrangeté
radicale de la jeune femme sera vite ressentie comme un danger
: à Lannaz, tout d'abord, sorte de réserve d'Indiens,
" des vrais, des purs, des durs ", qui vivent
encore dans une structure clanique, coupé du monde moderne.
Danger surtout pour l'homme qui l'épouse : car si, de
son propre aveu, Nina lui apprend tout, le langage et l'amour,
les sentiments, les joies du corps, si elle transforme son existence
radicalement, de la manière de se vêtir aux sensations
qu'il découvre, elle creuse aussi en lui une brèche
par laquelle il a l'impression de se perdre. Lui, le natif de
Lannaz, dernier Indien de la tribu, jaloux de ses pouvoirs immémoriaux
de mâle.
Nina, c'est le désordre, magnifique,
impérieux terrifiant. Il faut s'en protéger,
" casser l'amour " à tout jamais, par
toutes les bassesses possibles (et la dernière en date,
qui clôt ce roman sulfureux, donne la chair de poule).
Pour échapper, croit-il, à ce vent de folie amoureuse,
le narrateur accomplit le pire. Mais cela, bien entendu, ne
le sauve pas.
Peu de livres laissent après la lecture
un sentiment d'exorcisme aussi violent. Cela tient au sujet,
bien sûr, mais aussi au style de Louise Anne Bouchard,
précis, imagé, constamment sous tension,
qui fait des Sans-Soleil un des meilleurs romans
de la rentrée.
*
La Fureur, roman, L'Âge d'Homme, 1994.
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LOUISE-ANNE
BOUCHARD
Clélia fait enfin amende
honorable, 1997.
La fureur d'écrire
L'enfant terrible
des Lettres suisses est canadienne. Elle s'appelle Louise Anne
Bouchard, habite Lucerne (où elle écrit des scénarios
pour la télévision et le cinéma) et vient
de publier, avec Clélia fait enfin amende honorable,
le troisième volet d'une saga pleine de bruit et de fureur.
Cette fureur, qui
donne son titre au premier livre de Bouchard (Prix Contrepoint
de la Littérature française 1994), on la retrouve
chez toutes les héroïnes de cette écrivaine
atypique. Fureur de vivre, d'abord, et de goûter aux sensations
les plus violentes de l'existence : se brûler à
l'amour, se consumer de jalousie, entretenir la rage qui couve
dans le cur de chacun comme une flamme secrète.
Louise Anne Bouchard trouve des mots sans pareils pour décrire
cette passion indocile qui détruit tout sur son passage,
et ne laisse que des cendres.
Fureur, aussi,
des sentiments contrariés, quand la haine et l'amour
coexistent dans un même cur, et à des profondeurs
telles qu'ils en deviennent indémêlables : "
J'étais figée dans une haine en friche, qui
grondait, cherchant à solidifier ses racines. Étonnant
sentiment qui m'appelait sous la chaleur de ce dimanche mortel.
"
Comme dans son
précédent roman, Pierre va se remarier avec
Florence Cordobès, Louise Anne Bouchard fait de la
famille un champ d'enquête et de bataille : dans chacun
des deux livres, la narratrice doit défendre sa place,
et chèrement, face aux événements du monde
extérieur. C'est tantôt l'annonce d'un mariage,
tantôt la visite impromptue d'une tante Louise, insaisissable
sous ses différents masques, qu'il faut amadouer, pour
ne pas être dévorée vivante.
Qui parle ici ?
Clélia l'enquiquineuse, l'éternelle trouble-fête,
Clélia la mauvaise fille, qui n'existe que dans l'animosité
qu'elle voue aux membres de sa famille. " Je n'y comprends
rien, Clélia, dit Paul en désignant les volumes
de la main. Rien ne te ressemble. Aucun modèle. Rien
de comparable à ta personnalité têtue. Tu
n'es jamais nulle part ailleurs que devant moi. " Et
Louise Anne Bouchard a beaucoup de talent pour nommer ce malaise,
ce sentiment d'étrangeté et même
d'exclusion qui touche ici une femme dont l'unique défaut
est d'être née libre et douée de parole.
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