FEUILLETON LITTÉRAIRE
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Dernière mise à jour le 22 juillet 2004

 

 

 

 

 

FEUILLETON LITTÉRAIRE

LOUISE-ANNE BOUCHARD

Vai Piano, L'Âge d'Homme, 2001.

 

Vai piano

Louise Anne Bouchard est née à Montréal et vit en Suisse depuis douze ans. Photographe de formation, scénariste et dialoguiste de films, elle publie, tous les deux ans, de brefs romans convulsifs et déroutants. On se souvient des Sans-soleil, paru en 1999, qui retraçait dans une langue inimitable l'arrivée, dans un petit village valaisan, d'une étrangère aussi étrange qu'irréductible. Roman des rapports amoureux, de l'ouverture (ou de la fermeture) à l'autre, des bouleversements progressifs d'hommes et de femmes en proie à la passion…

L'étrange et l'étranger se retrouvent dans le dernier livre de Louise Anne Bouchard. Et d'abord dans le titre, Vai piano, en italien, qui signifie " va lentement ". Dans le thème, ensuite, puisque le roman raconte le voyage en Sicile d'une belle étrangère qui va tomber dans les bras (ou plutôt les filets) d'un médecin de Taormina. L'histoire serait banale sans la présence, constante et clandestine, du mari défunt qui suit son ex pas à pas, jour après jour, et surtout nuit après nuit. Mort et enterré, pourtant, le mari n'a de cesse d'espionner sa femme, à qui il s'adresse continuellement, dans une sorte de lettre ouverte adressée à celle qu'il a perdue, mais qu'il continue de maîtriser et de manipuler d'outre-tombe.

Passion extrême

Tout, chez Louise Anne Bouchard, est affaire de regards et de mots. Regard d'une incroyable cruauté, parfois, qui transperce les apparences, refuse les faux-semblants, fait éclater au fil des pages une vérité qui tantôt dérange (mais il ne faut pas tomber dans le piège de cette provocation), et tantôt éclaire d'une lumière nouvelle les relations amoureuses (car chaque roman de Louise Anne Bouchard est le récit d'une passion extrême, vécue jusqu'à son paroxysme). Langage d'une grande inventivité, ensuite, d'une musique nerveuse, d'une cadence régulière, preuve d'une grande maîtrise de la langue. Quand les regards et les mots se confondent, ou plutôt se répondent, cela donne un feu d'artifice. Un vrai régal !

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LOUISE-ANNE BOUCHARD

Les Sans-Soleil, roman, L'Âge d'Homme, 1999.

 

Un livre incandescent

Certains romans ont le pouvoir d'un exorcisme : sous le couvert d'un récit maîtrisé, ils mettent au jour des forces terrifiantes que la vie quotidienne, le plus souvent, nous empêche de voir et de nommer. Les Sans-Soleil, le dernier livre de Louise Anne Bouchard, est de ceux-là : récit de rage et de douleur, d'impuissance, et surtout d'épouvante, il brûle le lecteur comme sans doute il a brûlé celle qui l'a écrit.

Déjà dans La Douleur*, qui reçut en son temps le Prix Contrepoint de littérature française, cette jeune Canadienne établie à Lucerne mettait en scène un personnage qui cherchait vainement à guérir du passé. Elle se glisse aujourd'hui dans la peau d'un notable de Lannaz, petit village perdu dans les montagnes valaisannes, qui se raconte, en un long monologue, au psychiatre qui l'écoute.

Pris dans le flux et reflux des paroles, " cette décoction de l'âme ", l'homme raconte ce qui aura été l'événement central de sa vie : sa rencontre avec Nina l'étrangère, la femme libre, l'enragée de parole et d'amour, celle qui vient donner un grand coup de balai dans sa vie. Dès les premières pages de ce roman incandescent, on voit que tout s'allume autour de ce foyer secret : la rencontre de l'autre, les bouleversements que cette rencontre produit, l'amour fou et la peur, la lente dépossession de soi que toute passion entraîne.

Nina l'étrangère

Avec Nina, le narrateur ne s'ennuiera jamais : " elle aura ces petits cycles colère, féministe, rebelle, fille, amante, puis il y aura des accalmies: il faut de l'énergie pour être capable de se maintenir en rage constamment. " Mais bien sûr l'étrangeté radicale de la jeune femme sera vite ressentie comme un danger : à Lannaz, tout d'abord, sorte de réserve d'Indiens, " des vrais, des purs, des durs ", qui vivent encore dans une structure clanique, coupé du monde moderne. Danger surtout pour l'homme qui l'épouse : car si, de son propre aveu, Nina lui apprend tout, le langage et l'amour, les sentiments, les joies du corps, si elle transforme son existence radicalement, de la manière de se vêtir aux sensations qu'il découvre, elle creuse aussi en lui une brèche par laquelle il a l'impression de se perdre. Lui, le natif de Lannaz, dernier Indien de la tribu, jaloux de ses pouvoirs immémoriaux de mâle.

Nina, c'est le désordre, magnifique, impérieux – terrifiant. Il faut s'en protéger, " casser l'amour " à tout jamais, par toutes les bassesses possibles (et la dernière en date, qui clôt ce roman sulfureux, donne la chair de poule). Pour échapper, croit-il, à ce vent de folie amoureuse, le narrateur accomplit le pire. Mais cela, bien entendu, ne le sauve pas.

Peu de livres laissent après la lecture un sentiment d'exorcisme aussi violent. Cela tient au sujet, bien sûr, mais aussi au style de Louise Anne Bouchard, précis, imagé, constamment sous tension, qui fait des Sans-Soleil un des meilleurs romans de la rentrée.

* La Fureur, roman, L'Âge d'Homme, 1994.

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LOUISE-ANNE BOUCHARD
Clélia fait enfin amende honorable, 1997.

 

La fureur d'écrire

L'enfant terrible des Lettres suisses est canadienne. Elle s'appelle Louise Anne Bouchard, habite Lucerne (où elle écrit des scénarios pour la télévision et le cinéma) et vient de publier, avec Clélia fait enfin amende honorable, le troisième volet d'une saga pleine de bruit et de fureur.

Cette fureur, qui donne son titre au premier livre de Bouchard (Prix Contrepoint de la Littérature française 1994), on la retrouve chez toutes les héroïnes de cette écrivaine atypique. Fureur de vivre, d'abord, et de goûter aux sensations les plus violentes de l'existence : se brûler à l'amour, se consumer de jalousie, entretenir la rage qui couve dans le cœur de chacun comme une flamme secrète. Louise Anne Bouchard trouve des mots sans pareils pour décrire cette passion indocile qui détruit tout sur son passage, et ne laisse que des cendres.

Fureur, aussi, des sentiments contrariés, quand la haine et l'amour coexistent dans un même cœur, et à des profondeurs telles qu'ils en deviennent indémêlables : " J'étais figée dans une haine en friche, qui grondait, cherchant à solidifier ses racines. Étonnant sentiment qui m'appelait sous la chaleur de ce dimanche mortel. "

Comme dans son précédent roman, Pierre va se remarier avec Florence Cordobès, Louise Anne Bouchard fait de la famille un champ d'enquête et de bataille : dans chacun des deux livres, la narratrice doit défendre sa place, et chèrement, face aux événements du monde extérieur. C'est tantôt l'annonce d'un mariage, tantôt la visite impromptue d'une tante Louise, insaisissable sous ses différents masques, qu'il faut amadouer, pour ne pas être dévorée vivante.

Qui parle ici ? Clélia l'enquiquineuse, l'éternelle trouble-fête, Clélia la mauvaise fille, qui n'existe que dans l'animosité qu'elle voue aux membres de sa famille. " Je n'y comprends rien, Clélia, dit Paul en désignant les volumes de la main. Rien ne te ressemble. Aucun modèle. Rien de comparable à ta personnalité têtue. Tu n'es jamais nulle part ailleurs que devant moi. " Et Louise Anne Bouchard a beaucoup de talent pour nommer ce malaise, ce sentiment d'étrangeté – et même d'exclusion – qui touche ici une femme dont l'unique défaut est d'être née libre et douée de parole.

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