FEUILLETON LITTÉRAIRE
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Dernière mise à jour le 22 juillet 2004

 

 

FEUILLETON LITTÉRAIRE

JACQUES-ÉTIENNE BOVARD
Le Pays de Carole, Bernard Campiche, 2002, 276 p.

 

Le pays de Bovard

Touffu, dense parfois jusqu'à l'étouffement, Le Pays de Carole de Jacques-Étienne Bovard, cherche à saisir, lui aussi, les frontières du royaume amoureux. Dans un style âpre, toujours au bord de l'éclatement, Bovard raconte l'histoire d'une dépossession : Carole, gynécologue brillante, s'apprête à quitter Paul, son mari photographe. On ne sait combien de temps va durer cette séparation. Mais Paul ne s'y résigne pas et refuse de lâcher prise. Au contraire, il va mettre à profit sa nouvelle solitude pour écrire, prendre en photo le pays de Carole, ces collines du Jorat nourries de brumes et de fantômes, dans lequel il se sent étranger. C'est en se promenant dans ce pays, en faisant chaque jour mieux connaissance avec les paysans qui l'habitent, en photographiant ses forêts, ses renards et ses ruisseaux, que Paul rassemblera en lui les vestiges de Carole. Et parviendra, peut-être, à se réconcillier avec lui-même. Un beau roman, grave et profond, qui dit les charmes sourds de la terre vaudoise, ses parfums, ses couleurs, ses envoûtements.

 

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JACQUES-ÉTIENNE BOVARD
Les Beaux sentiments, Éditions Bernard Campiche, 1998.

 

Les beaux sentiments

Deux ans après Nains de Jardin, Jacques-Étienne Bovard nous donne un beau roman dont le sujet, pourtant, est des plus périlleux, puisqu'il s'agit des angoisses d'un maître de collège face à ses élèves, surtout, et face aux conditions de plus en plus pénibles de son travail.

Pourquoi périlleux ? D'abord parce qu'il n'y a rien de plus difficile que de parler de l'école au quotidien : conseils de classe, correction de travaux, discussions avec ses collègues, tentatives – plus ou moins heureuses – d'apprivoiser les élèves les plus rétifs, sinon les plus problématiques. De même qu'on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments, on ne fait pas de bon roman avec des préoccupations didactiques, voire pédagogiques ou syndicales.

Ces grands travers (ou plutôt ces dangers : l'humanisme, la bonne conscience, l'amour des autres), Jacques-Étienne Bovard les évite brillamment. D'abord parce que Les Bons sentiments, comme les deux précédents romans de Bovard, est solidement construit, qu'il développe une logique propre et cohérente, qu'il met en scène des personnages incarnés (même si, parfois, comme dans celui d'Anne-Sophie, on aimerait en savoir davantage). Ensuite parce qu'il évite l'écueil, précisément, des bons sentiments : il n'est jamais mièvre, édulcoré ou simplement prévisible. Enfin – et c'est pour nous le plus important – il est forgé dans une langue précise et claire qui va à l'essentiel, sans jamais renoncer aux nuances, pourtant, ni se perdre en chemin.

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JACQUES-ÉTIENNE BOVARD
Nains de jardin, Bernard Campiche, 1995.

 

Après son très beau Demi-sang suisse, justement récompensé du Prix Rambert 1995, Jacques-Étienne Bovard change de registre, une fois encore, pour renouer avec un genre difficile : celui de la nouvelle ou du bref récit. Ainsi se présente Nains de jardin, recueil de sept textes de longueurs (et d'importance) inégales, qui tous, à leur façon, dissèquent et interrogent ce qu'on pourrait appeler les mythes fondamentaux de l'esprit suisse : bonheur enrobé de silence et d'égoïsme, suspicion face à l'autre, fantasmes de respectabilité et rêve d'un paradis couvert de " gazon net ", avec " ses thuyas, ses habitants paisibles à n'en plus pouvoir ".

Ce paradis, peuplé d'aimables (et inquiétants) nains de jardin, Bovard en fait une sorte de radiographie, au fil des textes qui mettent l'accent, chacun, sur un aspect de l'esprit suisse (lequel, en l'occurrence, serait plutôt l'esprit vaudois). C'est tantôt une poignée de copropriétaires qui se battent pour une antenne parabolique ; ou encore un dentiste, jouant les garde-chiourme dans un village désert, qui épie avec fureur les environs ; ou un modeste fonctionnaire qui abandonne femme et enfants pour se livrer à sa passion des nains de jardin ; ou encore une bande de joyeux drilles qui persécutent un camarade de la Protection civile, etc.

Pourtant, sans doute à cause du sujet qu'il s'est donné (minuscule en même temps qu'inépuisable), Bovard a plus de peine à nous convaincre, ici, que dans ses livres précédents. Le trait, souvent, est ajusté avec finesse et précision, féroce, parfois cruel, mais il manque d'ampleur, surtout dans les textes les plus brefs. Ce n'est pas un hasard si les nouvelles les plus réussies, à mon sens, sont aussi les plus longues ( " L'Art de la Paix ", " Les Oisillons "), car c'est là que Bovard, creusant les personnages et les situations, peut donner le meilleur de lui-même, qui n'est peut-être pas (seulement) dans le ton sarcastique, mais surtout dans cette intimité si particulière (et souvent fascinante) qu'il entretient avec ses personnages.

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JACQUES-ÉTIENNE BOVARD
Demi-sang suisse, Bernard Campiche, 1994.

 

Roman de l'écriture et écriture du roman

Rien n'est plus difficile, tout le monde vous le dira, que d'écrire un second roman, quand le premier, à tort ou à raison, a été bien reçu pas la critique. C'est peu dire qu'on attend l'auteur au tournant : pour lui, il s'agit non seulement de confirmer les promesses du premier livre, mais encore, si j'ose dire, d'en offrir de nouvelles, qui vont faire oublier les prouesses du premier roman.

La Griffe, publiée il y a trois ans, racontait une mémorable expédition entreprise, à travers le Jura, par un groupe d'hommes et de femmes décidés à se guérir de la cigarette. Très bien construit, d'une écriture pleine de verve et de brio, ce premier roman montrait à quelle maîtrise un jeune auteur, en travaillant le rythme et la musique de chaque phrase, peut arriver, lorsqu'il est, comme Bovard, plein de fougue et de talent.

Avec Demi-sang suisse, son deuxième roman (rappelons qu'il a publié, en 1982, un recueil de nouvelles*, et en 1991, un essai sur Jacques Mercanton**), Bovard montre, une fois de plus, qu'il aime la belle ouvrage. Son roman est solidement charpenté, en quatre parties de longueur inégale, chacune centrée sur la figure d'un animal tutélaire qui métaphorise l'écriture. C'est d'abord la taupe, maladroite et presque aveugle lorsqu'elle arrive à la lumière ; c'est ensuite le renard, dont la ruse sera indispensable au héros pour résoudre l'énigme qu'on lui pose ; puis c'est la hyène, figure de l'abjection et de la tentation ; c'est enfin le centaure, animal fabuleux qui incarne la fusion de l'homme et du cheval, de l'intelligence et de la force, de la ruse et de l'instinct.

L'ombre de Chessex

Au centre du roman, l'enquête menée par un inspecteur à la dérive, ancien responsable, à Lausanne, des fiches de sinistre mémoire, qui va tenter de débrouiller le mystère d'un meurtre camouflé en accident d'équitation. La force de Bovard, c'est de restituer non seulement les progrès de l'enquête, dans son rythme incertain, mais aussi de montrer qu'en même temps qu'il résoud son énigme, l'inspecteur fait le point sur sa vie. Et cela, grâce à l'intervention des animaux tutélaires qui le protègent, en même temps qu'ils le conduisent vers la lumière. Cette fascination pour la nature et les forces vitales, déjà sensible dans La Griffe, est ici magnifiée dans des pages très belles, où Bovard s'envole, littéralement, sur le cheval de l'écriture.

Bien sûr — d'autres l'ont déjà dit — l'ombre de Chessex, parfois légère, mais parfois écrasante, plane sur ses pages pleines de fureur. On aimerait que Bovard, oubliant son modèle, aille plus loin encore dans l'écriture précise et lumineuse qui est la sienne. Mais cela viendra, sans doute, car l'écrivain vaudois a un bel avenir devant lui. À n'en pas douter, il compte parmi les auteurs les plus talentueux de ces nouveaux écrivains suisses (Moeri, Comment, Laplace, Pasquali, et quelques autres) qui feront beaucoup parler d'eux.

* Aujourd'hui Jean, nouvelles, Éditions de L'Aire, 1982.

** Mystère et transcendance, essai sur Jacques Mercanton, Éditions de l'Aire, 1991.

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