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JACQUES-ÉTIENNE
BOVARD
Le
Pays de Carole, Bernard Campiche, 2002, 276 p.
Le pays de Bovard
Touffu,
dense parfois jusqu'à l'étouffement, Le Pays
de Carole de Jacques-Étienne Bovard, cherche à
saisir, lui aussi, les frontières du royaume amoureux.
Dans un style âpre, toujours au bord de l'éclatement,
Bovard raconte l'histoire d'une dépossession : Carole,
gynécologue brillante, s'apprête à quitter
Paul, son mari photographe. On ne sait combien de temps va durer
cette séparation. Mais Paul ne s'y résigne pas
et refuse de lâcher prise. Au contraire, il va mettre
à profit sa nouvelle solitude pour écrire, prendre
en photo le pays de Carole, ces collines du Jorat nourries
de brumes et de fantômes, dans lequel il se sent étranger.
C'est en se promenant dans ce pays, en faisant chaque jour mieux
connaissance avec les paysans qui l'habitent, en photographiant
ses forêts, ses renards et ses ruisseaux, que Paul rassemblera
en lui les vestiges de Carole. Et parviendra, peut-être,
à se réconcillier avec lui-même. Un beau
roman, grave et profond, qui dit les charmes sourds de la terre
vaudoise, ses parfums, ses couleurs, ses envoûtements.
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JACQUES-ÉTIENNE
BOVARD
Les Beaux sentiments, Éditions Bernard Campiche,
1998.
Les beaux sentiments
Deux ans après Nains de Jardin,
Jacques-Étienne Bovard nous donne un beau roman dont
le sujet, pourtant, est des plus périlleux, puisqu'il
s'agit des angoisses d'un maître de collège face
à ses élèves, surtout, et face aux conditions
de plus en plus pénibles de son travail.
Pourquoi périlleux ? D'abord parce qu'il
n'y a rien de plus difficile que de parler de l'école
au quotidien : conseils de classe, correction de travaux,
discussions avec ses collègues, tentatives plus
ou moins heureuses d'apprivoiser les élèves
les plus rétifs, sinon les plus problématiques.
De même qu'on ne fait pas de bonne littérature
avec de bons sentiments, on ne fait pas de bon roman avec des
préoccupations didactiques, voire pédagogiques
ou syndicales.
Ces grands travers (ou plutôt ces dangers
: l'humanisme, la bonne conscience, l'amour des autres), Jacques-Étienne
Bovard les évite brillamment. D'abord parce que Les
Bons sentiments, comme les deux précédents
romans de Bovard, est solidement construit, qu'il développe
une logique propre et cohérente, qu'il met en scène
des personnages incarnés (même si, parfois,
comme dans celui d'Anne-Sophie, on aimerait en savoir davantage).
Ensuite parce qu'il évite l'écueil, précisément,
des bons sentiments : il n'est jamais mièvre,
édulcoré ou simplement prévisible. Enfin
et c'est pour nous le plus important il est forgé
dans une langue précise et claire qui va à l'essentiel,
sans jamais renoncer aux nuances, pourtant, ni se perdre en
chemin.
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JACQUES-ÉTIENNE
BOVARD
Nains
de jardin, Bernard Campiche, 1995.
Après
son très beau Demi-sang suisse, justement récompensé
du Prix Rambert 1995, Jacques-Étienne Bovard change de
registre, une fois encore, pour renouer avec un genre difficile
: celui de la nouvelle ou du bref récit. Ainsi se présente
Nains de jardin, recueil de sept textes de longueurs
(et d'importance) inégales, qui tous, à leur façon,
dissèquent et interrogent ce qu'on pourrait appeler les
mythes fondamentaux de l'esprit suisse : bonheur enrobé
de silence et d'égoïsme, suspicion face à
l'autre, fantasmes de respectabilité et rêve d'un
paradis couvert de " gazon net ", avec "
ses thuyas, ses habitants paisibles à n'en plus pouvoir
".
Ce
paradis, peuplé d'aimables (et inquiétants) nains
de jardin, Bovard en fait une sorte de radiographie, au fil
des textes qui mettent l'accent, chacun, sur un aspect de l'esprit
suisse (lequel, en l'occurrence, serait plutôt l'esprit
vaudois). C'est tantôt une poignée de copropriétaires
qui se battent pour une antenne parabolique ; ou encore un dentiste,
jouant les garde-chiourme dans un village désert, qui
épie avec fureur les environs ; ou un modeste fonctionnaire
qui abandonne femme et enfants pour se livrer à sa passion
des nains de jardin ; ou encore une bande de joyeux drilles
qui persécutent un camarade de la Protection civile,
etc.
Pourtant,
sans doute à cause du sujet qu'il s'est donné
(minuscule en même temps qu'inépuisable), Bovard
a plus de peine à nous convaincre, ici, que dans ses
livres précédents. Le trait, souvent, est ajusté
avec finesse et précision, féroce, parfois cruel,
mais il manque d'ampleur, surtout dans les textes les plus brefs.
Ce n'est pas un hasard si les nouvelles les plus réussies,
à mon sens, sont aussi les plus longues ( " L'Art
de la Paix ", " Les Oisillons "), car c'est là
que Bovard, creusant les personnages et les situations, peut
donner le meilleur de lui-même, qui n'est peut-être
pas (seulement) dans le ton sarcastique, mais surtout dans cette
intimité si particulière (et souvent fascinante)
qu'il entretient avec ses personnages.
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JACQUES-ÉTIENNE
BOVARD
Demi-sang
suisse, Bernard Campiche, 1994.
Roman
de l'écriture et écriture du roman
Rien
n'est plus difficile, tout le monde vous le dira, que d'écrire
un second roman, quand le premier, à tort ou à
raison, a été bien reçu pas la critique.
C'est peu dire qu'on attend l'auteur au tournant : pour lui,
il s'agit non seulement de confirmer les promesses du premier
livre, mais encore, si j'ose dire, d'en offrir de nouvelles,
qui vont faire oublier les prouesses du premier roman.
La
Griffe, publiée il y a trois ans, racontait une mémorable
expédition entreprise, à travers le Jura, par
un groupe d'hommes et de femmes décidés à
se guérir de la cigarette. Très bien construit,
d'une écriture pleine de verve et de brio, ce premier
roman montrait à quelle maîtrise un jeune auteur,
en travaillant le rythme et la musique de chaque phrase, peut
arriver, lorsqu'il est, comme Bovard, plein de fougue et de
talent.
Avec
Demi-sang suisse, son deuxième roman (rappelons
qu'il a publié, en 1982, un recueil de nouvelles*, et
en 1991, un essai sur Jacques Mercanton**), Bovard montre, une
fois de plus, qu'il aime la belle ouvrage. Son roman est solidement
charpenté, en quatre parties de longueur inégale,
chacune centrée sur la figure d'un animal tutélaire
qui métaphorise l'écriture. C'est d'abord la taupe,
maladroite et presque aveugle lorsqu'elle arrive à
la lumière ; c'est ensuite le renard, dont la
ruse sera indispensable au héros pour résoudre
l'énigme qu'on lui pose ; puis c'est la hyène,
figure de l'abjection et de la tentation ; c'est enfin le centaure,
animal fabuleux qui incarne la fusion de l'homme et du cheval,
de l'intelligence et de la force, de la ruse et de l'instinct.
L'ombre
de Chessex
Au
centre du roman, l'enquête menée par un inspecteur
à la dérive, ancien responsable, à Lausanne,
des fiches de sinistre mémoire, qui va tenter
de débrouiller le mystère d'un meurtre camouflé
en accident d'équitation. La force de Bovard, c'est de
restituer non seulement les progrès de l'enquête,
dans son rythme incertain, mais aussi de montrer qu'en même
temps qu'il résoud son énigme, l'inspecteur fait
le point sur sa vie. Et cela, grâce à l'intervention
des animaux tutélaires qui le protègent, en même
temps qu'ils le conduisent vers la lumière. Cette fascination
pour la nature et les forces vitales, déjà sensible
dans La Griffe, est ici magnifiée dans des pages
très belles, où Bovard s'envole, littéralement,
sur le cheval de l'écriture.
Bien
sûr d'autres l'ont déjà dit
l'ombre de Chessex, parfois légère, mais parfois
écrasante, plane sur ses pages pleines de fureur. On
aimerait que Bovard, oubliant son modèle, aille plus
loin encore dans l'écriture précise et lumineuse
qui est la sienne. Mais cela viendra, sans doute, car l'écrivain
vaudois a un bel avenir devant lui. À n'en pas douter,
il compte parmi les auteurs les plus talentueux de ces nouveaux
écrivains suisses (Moeri, Comment, Laplace, Pasquali,
et quelques autres) qui feront beaucoup parler d'eux.
* Aujourd'hui
Jean, nouvelles, Éditions de L'Aire, 1982.
** Mystère
et transcendance, essai sur Jacques Mercanton, Éditions
de l'Aire, 1991.
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