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MONIQUE
LAEDERACH
Poésie
complète, L'Âge d'Homme, 2003.
Une vie tout entière avec ses
passions et ses mythes, ses vérités et ses errances
tient-elle dans un seul livre ? Qui serait à la
fois la source de toute Parole et un pays de poésie ?
Dans son dernier ouvrage, somme poétique de toute une
vie, Monique Laederach préfère parler, plus modestement,
d'album de photographies qui rassemblerait, dans un même
volume, " les images intérieures et les images
de l'entour ". S'il est un livre indispensable, c'est
bien cette Poésie complète qui ressuscite
des recueils devenus introuvables, comme L'étain la
source (1970) ou Pénélope (1971), ou
encore La Partition (1982), toujours d'actualité,
qui passe au crible le discours machiste de la publicité
et des petites annonces. Au fil des livres, la voix de Monique
Laederach s'affine, s'interroge et prend de la hauteur, dirait-on,
jusqu'à Ce chant, mon amour (2001), magnifique
de musique et de grâce.
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MONIQUE
LAEDERACH
Je n'ai pas dansé dans
l'île, L'Âge d'Homme, 2000.
L'abîme
amoureux
Il
y a de la douleur, et beaucoup d'amertume, dans le dernier livre
de Monique Laederach dont le titre, Je n'ai pas dansé
dans l'île, évoque en creux l'abîme de
l'amour (ou l'amour abîmé).
Comme
L'Amant de Duras (dont il adopte la structure éclatée)
le roman de Monique Laederach s'ouvre sur une image perdue :
Jarkko tapant à la machine ses poèmes nocturnes,
martèlement des lettres, musique perverse et déchirante,
tandis qu'Emmanuelle, la narratrice et maîtresse de Jarkko,
l'écoute faire, partagée entre admiration et détestation.
Peu
à peu, comme on recolle les morceaux d'une photographie,
Emmanuelle reconstitue (c'est-à-dire réinvente)
son histoire, et cela moins pour la revivre, certainement, que
pour se convaincre qu'elle a vraiment eu lieu. Qu'elle a bel
et bien rencontré, en Macédoine, lors d'un festival
de littérature, cet écrivain finlandais au nom
bizarre, Jarkko, poète surdoué, homosexuel et
porté, comme quelques autres, sur la bouteille.
Aucune
femme n'est Prométhée
Ils
n'ont pas de langue commune, mais inventent très vite
un " langage du corps " qui en tient lieu : " sa main, son
bras, sa bouche et cette constellation hors de toutes
les langues, mots léchés caressés transcrits
en traces de griffures sur la peau, et les gémissements,
les onomatopées qui disaient tout. " Cet amour, qui
fait exploser le langage, système de conventions hasardeuses,
ne suffit pas à concilier leurs différences et
les conflits éclatent bientôt, irréductibles.
Ils se séparent, puis Emmanuelle va rejoindre son amant
en Finlande, à Lahti, pour un autre festival, au cours
duquel Jarkko est célébré, alors qu'Emmanuelle
est condamnée à rester dans son ombre. Une nouvelle
rencontre aura lieu à Vienne, quelques mois plus tard,
mais cette fois sous le signe de la mort : Jarkko vit avec Erich,
semble peu disposé à accorder une autre chance
à leur amour, détruit sa vie à petit feu.
Leur brève vie commune ne fait qu'accuser, encore une
fois, l'abîme qui les séparent : sexuel, culturel,
littéraire aussi, car l'uvre de Jarkko connaît
une reconnaissance, qu'Emmanuelle envie : " c'est moi qui
ai essayé de leur voler le feu. Mais même pour
cela, il ne suffit pas de feindre : aucune femme n'est Prométhée.
"
La
fin d'une illusion
Emmanuelle
décide alors de rentrer en Suisse où elle continue
à écrire, puis à publier, mais sous un
pseudonyme masculin, croyant ainsi échapper à
la malédiction qui elle en est convaincue
poursuit toutes les femmes. Peine perdue. Le pseudonyme ne fait
rien à l'affaire et l'écriture, en elle, même
dans la peau d'un autre, reste une blessure à vif. Elle
reverra Jarkko, dans une clinique de Helsinki, une dernière
fois, juste avant qu'il meure du sida, en septembre 90, puis
tombera malade à son tour.
On
voit comment l'amour, qui frôle ici l'abîme, se
mue tout au long du récit en amour abîmé,
toujours orphelin de lui-même, et condamné, si
j'ose dire, à une éternelle déception.
On retrouve dans ce livre les thèmes chers à Monique
Laederach : l'inconciliable différence des sexes, la
quête, aussi, d'une identité féminine, dans
et par l'écriture, qui ne devrait rien à personne,
sinon à elle-même. Même alourdi de clichés
féministes, d'une écriture parfois exagérément
durassienne, Je n'ai pas dansé dans l'île
est certainement l'un des meilleurs romans de Monique Laederach,
qui retrouve ici l'inspiration violente de La femme séparée.
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MONIQUE
LAEDERACH
Les noces de Cana, L'Âge
d'Homme, 1996.
Si vivre est tel, L'Âge d'Homme/ Écrits
des Forges, 1998. Ce texte, lu par l'auteur, existe également
sous forme de CD.
L'écriture
de la nuit
On
ne présente plus Monique Laederach : auteur d'une uvre
exigeante, partagée entre le roman (aux thèmes
résolument sociaux, comme Les Noces de Cana) et
la poésie, d'ambition plus introspective, cet écrivain
rare nous donne aujourd'hui Si vivre est tel, un recueil
de poèmes qui paraît en même temps en Suisse
et au Canada.
Peu
de textes, aujourd'hui, explorent avec une telle lucidité
la nuit des origines : non seulement les premiers temps de la
vie, l'enfance et son cortège de souvenirs brouillés,
mais aussi l'outre-enfance : ce qui précède
la naissance elle-même. Le silence et l'attente.
" Le moule ses rondeurs et ses aspérités.
Le nom. La qualité. " Tout ce qui conditionne,
entoure, prépare et déjà emprisonne l'existence
à venir.
Dans
sa première partie, Si vivre est tel explore ce
territoire silencieux où bourdonnent, pourtant, beaucoup
de voix absentes, abandonnées, et qui parviennent avec
douleur à la parole. Ces voix de femmes qui supplient,
ces cris trop longtemps contenus, ces voix qui disent la blessure
et le sang, les corps meurtris, " parturitions déchirements,
haine des filles qui ne sont que pareilles ". Mais
cette exploration, loin d'être un simple état des
lieux d'une enfance sans parole, devient au fil des pages une
révolte active, et la prise de conscience d'un combat
sans relâche. Si la blessure devient parole, la poésie,
ici, se fait combat vital : un combat pour la vie, d'abord,
où se joue la vie même de l'écrivain, mais
aussi un combat contre " l'étranglement d'un
verbe que nous avons fait chair à contre-nous. "
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