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ADRIEN
PASQUALI
Mauvais coton, roman, Zoé, 2000.
Adieu à Adrien Pasquali, Zoé, 2000.
Adieu
à Pasquali
Malgré
lexiguïté du marché et le mépris
affiché par certains médias (LHebdo,
Le Temps) face à la littérature romande, Marlyse
Pietri tient encore bon le cap et la barre. Ce mois-ci,
pour fêter dignement son anniversaire, Zoé publie
trois livres différents, et émouvants à
maints égards.
Il
y a tout dabord le dernier roman dAdrien Pasquali,
Mauvais coton, le long monologue dHenriette, domestique
soumise et obéissante, qui réagit à sa
manière à larrivée du nouveau protégé
de Madame, dans un huis clos étouffant et tendu. Achevé
quelques semaines avant sa mort volontaire, ce Mauvais coton
acquiert des résonances particulières et bouleversantes.
Il est aussi le contrepoint à ce Pain de silence
dont nous avons parlé lors de sa parution en 1999.
Bouleversants,
la plupart des textes qui composent cet Adieu à Adrien
Pasquali le sont également. On trouve dans ce recueil
lessentiel des textes lus pendant la journée dhommage
que lUniversité de Genève. (où Adrien
enseignait) lui a consacrée le 10 juin 1999. Certains
témoignages sont très forts, comme lhommage
de Jean Roudaut, par exemple, qui fut lun des proches
de Pasquali. Ou encore celui de Claude Reichler ou de Claude
Darbellay, empreint dune ironie que beaucoup décrivains
romands rompus au silence qui entoure leurs livres et aux nombreuses
résistances universitaires comprendront (car les hommages,
même émouvants, viennent toujours trop tard, ils
sont quelquefois excessifs ou déplacés).
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ADRIEN
PASQUALI
Le pain de silence, Zoé,
1999.
Pour
Adrien Pasquali
On
l'oublie trop souvent : écrire est difficile, incertain,
périlleux, angoissant surtout en Suisse romande
où tout conspire à étouffer les voix qui
pourraient être singulières. Les exemples ne manquent
pas d'écrivains étranglés par le silence
ou au contraire la bassesse des attaques dont ils ont fait l'objet.
Il y a parfois des mots qui tuent : Adrien Pasquali, à
qui le critique Thierry Mertenat déniait le titre même
d'écrivain (voir la Tribune de Genève du
samedi 20 mars) et conseillait, une bonne fois pour toutes,
de se taire, s'est donné la mort, à Paris, le
23 mars dernier.
Au
fil des livres, Adrien Pasquali (né en 1958) semblait
approcher de plus en plus un secret qui le brûlait, secret
rattaché à l'enfance, au déracinement et
à l'apprentissage d'une langue qui aura toujours été
étrangère. Secret, encore, d'un silence qui était
comme le berceau (ou l'origine) de la passion d'écrire.
Déjà
La Matta, roman publié chez Zoé en 1993,
tentait à sa manière de circonscrire une blessure
liée à l'émergence de la folie, à
la mort, à l'enfance et peut-être à
la mort de l'enfance. Ce roman bref et intense avait
le charme de ces journées d'été qui laissent
sur la peau (et dans les yeux) des marques vives qui accompagnent
longtemps le promeneur.
Loi
du secret
Ces
promesses, Pasquali les tient dans Le pain de silence
jusqu'aux limites de la parole. Même interrogation de
l'enfance, des mots échangés (et surtout retenus),
de cette loi du secret qui régne si cruellement
dans certaines familles et tue dans l'uf tout rêve
de communication. Même écriture musicale, aussi,
qui sonne juste et bien dans sa répétition obsessionnelle
des mêmes motifs. Même louvoiement inquiet entre
récit et roman en quête d'une forme qui concilie
enfin (ou réconcilie) l'écriture et la présence
au monde.
Constitué
de deux immenses phrases, " deux amples coulées
sans point ni paragraphe ", le livre d'Adrien Pasquali
avance comme le derviche de Voltaire, en cercles concentriques
: il revient sans cesse sur ses pas comme s'il cherchait dans
le passé des points d'appui pour accrocher ses mots,
creuser la trace qui mène à la lumière
(ou à la délivrance) du point final. Dans ce récit
haletant, sans cesse entravé par des images mortifères
(le père muet, la mère sacrifiée aux travaux
domestiques), on avance avec angoisse vers la fin, longuement
différée, où le silence, comme la glace,
menace à chaque pas. L'ironie veut que ce silence, dont
il essaie par tous les moyens de se libérer comme d'une
gangue funeste, Pasquali ait choisi de le rejoindre pour toujours.
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ADRIEN
PASQUALI
Nicolas
Bouvier : un galet dans le torrent du monde, Zoé, 1996.
Une étude
passionnante
Pour éclairer
Bouvier, dont l'uvre est un archipel fascinant, il y avait
bien quelques études, disséminées ici ou
là dans des revues confidentielles. Désormais
il y aura le livre d'Adrien Pasquali, Nicolas Bouvier, Un
galet dans le torrent du monde, qui propose un parcours
inspiré, et lui-même vagabond, à travers
l'uvre du grand écrivain genevois.
Centré autour
de la question de l'écriture et du voyage, qu'il explore
dans tous ses plis et replis, Pasquali nous montre que l'écriture
de Bouvier se nourrit constamment d'autres textes : carnets
de route, correspondance avec ses proches restés en Suisse,
lente et savante réécriture du texte à
Genève, seul port d'attache de l'écrivain : rien
n'est moins spontané que la production du récit
de voyage chez Bouvier, qui laisse le texte se décanter
longtemps, l'oublie, le récrit mille fois avant de le
livrer à la publication.
Du voyage, pourtant,
qui lui permet d'atteindre, au bout de la route, cette "
coîncidence avec son corps ", avec le monde
et avec le temps, Bouvier tire aussi une leçon de sagesse,
qui tient davantage, on s'en doute, des religions orientales
que des croyances chrétiennes. Et cette sagesse, Adrien
Pasquali la cerne, puis l'analyse avec finesse, en montrant
qu'elle conduit Bouvier à une réflexion morale
qui permet " d'envisager positivement le vieillissement,
l'usure et la perte comme un processus de l'esprit, semblable
à celui qui façonne la perfection et polit un
galet dans le torrent du monde, jusqu'à lui conférer
la légéreté d'un grain de sable. "
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