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Dernière mise à jour le 22 juillet 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

FEUILLETON LITTÉRAIRE

ADRIEN PASQUALI
Mauvais coton, roman, Zoé, 2000.
Adieu à Adrien Pasquali, Zoé, 2000.

 

Adieu à Pasquali

Malgré l’exiguïté du marché et le mépris affiché par certains médias (L’Hebdo, Le Temps) face à la littérature romande, Marlyse Pietri tient encore bon le cap et la barre. Ce mois-ci, pour fêter dignement son anniversaire, Zoé publie trois livres différents, et émouvants à maints égards.

Il y a tout d’abord le dernier roman d’Adrien Pasquali, Mauvais coton, le long monologue d’Henriette, domestique soumise et obéissante, qui réagit à sa manière à l’arrivée du nouveau protégé de Madame, dans un huis clos étouffant et tendu. Achevé quelques semaines avant sa mort volontaire, ce Mauvais coton acquiert des résonances particulières et bouleversantes. Il est aussi le contrepoint à ce Pain de silence dont nous avons parlé lors de sa parution en 1999.

Bouleversants, la plupart des textes qui composent cet Adieu à Adrien Pasquali le sont également. On trouve dans ce recueil l’essentiel des textes lus pendant la journée d’hommage que l’Université de Genève. (où Adrien enseignait) lui a consacrée le 10 juin 1999. Certains témoignages sont très forts, comme l’hommage de Jean Roudaut, par exemple, qui fut l’un des proches de Pasquali. Ou encore celui de Claude Reichler ou de Claude Darbellay, empreint d’une ironie que beaucoup d’écrivains romands rompus au silence qui entoure leurs livres et aux nombreuses résistances universitaires comprendront (car les hommages, même émouvants, viennent toujours trop tard, ils sont quelquefois excessifs ou déplacés).

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ADRIEN PASQUALI
Le pain de silence, Zoé, 1999.

 

Pour Adrien Pasquali

On l'oublie trop souvent : écrire est difficile, incertain, périlleux, angoissant – surtout en Suisse romande où tout conspire à étouffer les voix qui pourraient être singulières. Les exemples ne manquent pas d'écrivains étranglés par le silence ou au contraire la bassesse des attaques dont ils ont fait l'objet. Il y a parfois des mots qui tuent : Adrien Pasquali, à qui le critique Thierry Mertenat déniait le titre même d'écrivain (voir la Tribune de Genève du samedi 20 mars) et conseillait, une bonne fois pour toutes, de se taire, s'est donné la mort, à Paris, le 23 mars dernier.

Au fil des livres, Adrien Pasquali (né en 1958) semblait approcher de plus en plus un secret qui le brûlait, secret rattaché à l'enfance, au déracinement et à l'apprentissage d'une langue qui aura toujours été étrangère. Secret, encore, d'un silence qui était comme le berceau (ou l'origine) de la passion d'écrire.

Déjà La Matta, roman publié chez Zoé en 1993, tentait à sa manière de circonscrire une blessure liée à l'émergence de la folie, à la mort, à l'enfance – et peut-être à la mort de l'enfance. Ce roman bref et intense avait le charme de ces journées d'été qui laissent sur la peau (et dans les yeux) des marques vives qui accompagnent longtemps le promeneur.

Loi du secret

Ces promesses, Pasquali les tient dans Le pain de silence jusqu'aux limites de la parole. Même interrogation de l'enfance, des mots échangés (et surtout retenus), de cette loi du secret qui régne si cruellement dans certaines familles et tue dans l'œuf tout rêve de communication. Même écriture musicale, aussi, qui sonne juste et bien dans sa répétition obsessionnelle des mêmes motifs. Même louvoiement inquiet entre récit et roman en quête d'une forme qui concilie enfin (ou réconcilie) l'écriture et la présence au monde.

Constitué de deux immenses phrases, " deux amples coulées sans point ni paragraphe ", le livre d'Adrien Pasquali avance comme le derviche de Voltaire, en cercles concentriques : il revient sans cesse sur ses pas comme s'il cherchait dans le passé des points d'appui pour accrocher ses mots, creuser la trace qui mène à la lumière (ou à la délivrance) du point final. Dans ce récit haletant, sans cesse entravé par des images mortifères (le père muet, la mère sacrifiée aux travaux domestiques), on avance avec angoisse vers la fin, longuement différée, où le silence, comme la glace, menace à chaque pas. L'ironie veut que ce silence, dont il essaie par tous les moyens de se libérer comme d'une gangue funeste, Pasquali ait choisi de le rejoindre pour toujours.

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ADRIEN PASQUALI
Nicolas Bouvier : un galet dans le torrent du monde, Zoé, 1996.

 

Une étude passionnante

Pour éclairer Bouvier, dont l'œuvre est un archipel fascinant, il y avait bien quelques études, disséminées ici ou là dans des revues confidentielles. Désormais il y aura le livre d'Adrien Pasquali, Nicolas Bouvier, Un galet dans le torrent du monde, qui propose un parcours inspiré, et lui-même vagabond, à travers l'œuvre du grand écrivain genevois.

Centré autour de la question de l'écriture et du voyage, qu'il explore dans tous ses plis et replis, Pasquali nous montre que l'écriture de Bouvier se nourrit constamment d'autres textes : carnets de route, correspondance avec ses proches restés en Suisse, lente et savante réécriture du texte à Genève, seul port d'attache de l'écrivain : rien n'est moins spontané que la production du récit de voyage chez Bouvier, qui laisse le texte se décanter longtemps, l'oublie, le récrit mille fois avant de le livrer à la publication.

Du voyage, pourtant, qui lui permet d'atteindre, au bout de la route, cette " coîncidence avec son corps ", avec le monde et avec le temps, Bouvier tire aussi une leçon de sagesse, qui tient davantage, on s'en doute, des religions orientales que des croyances chrétiennes. Et cette sagesse, Adrien Pasquali la cerne, puis l'analyse avec finesse, en montrant qu'elle conduit Bouvier à une réflexion morale qui permet " d'envisager positivement le vieillissement, l'usure et la perte comme un processus de l'esprit, semblable à celui qui façonne la perfection et polit un galet dans le torrent du monde, jusqu'à lui conférer la légéreté d'un grain de sable. "

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