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JEAN
VUILLEUMIER
Blanche, Marthe, Camille,
Notes sur trois mystiques, L'Âge d'Homme, 1996.
Blanche,
Marthe, Camille
Comment
rendre compte, verbalement, d'une expérience intime et
bouleversante qui ne passe pas par la parole ? C'est le pari
que tente Jean Vuilleumier dans un petit livre qui n'est pas
un roman (encore que
), ni un essai, mais plus modestement
une suite de notes autour de trois mystiques qui ont vécu,
au plus profond de leur chair, la rencontre avec Dieu.
Elles
sont trois : la plus ancienne est Blanche de la Force (dont
Bernanos a fait le personnage principal de ses Dialogues
des Carmélites), qui a vécu les années
les plus sanglantes de la Révolution ; les deux autres
mystiques, Marthe Robin et Camille C., sont nées au commencement
du siècle. Chacune d'elles ne prétend pas "
racheter seulement ses propres manquements, mais plus encore
ceux de ses semblables. " Ainsi, pour Vuilleumier,
leur expérience rejoint " l'idée de partage
et d'échange, en regard de quoi l'indifférence
du plus grand nombre au sort commun est ressentie comme dégradante.
"
Analysant
la vie des trois mystiques, Vuilleumier dégage certaines
constantes de leur expérience, par exemple " la
peur inscrite dans la fibre du vivant, sous le broiement du
temps ", mais aussi la souffrance (ou, pour Blanche,
le goût ambigu du martyre), la compassion, la générosité,
avec peut-être, en-dessous, " un fantasme de culpabilité
pour un crime qu'elles n'ont pas commis, mais qu'elles doivent
expier ". Chacune, à sa manière, connaît
quelque chose d'impérieux et d'exaltant qu'elle a de
la peine à communiquer, et qui n'en constitue pas moins
une transgression des normes habituelles.
Dans
ces trois expériences extrêmes, Vuilleumier
dégage quatre étapes, qui sont autant de phases
ou de stases sur le chemin de la connaissance de l'être
intime : la conversion, d'abord, puis la mise en pratique de
l'Évangile et ce qu'il nomme " l'épreuve
de la nuit ", enfin l'ultime union, où la personne
s'efface pour faire place à la force qui l'habite.
Car
il s'agit, à chaque fois, d'une force supérieure
qui dévore la mystique d'un feu vif et délicieux,
ultime forme, pour ces trois femmes, et à travers les
siècles, de la dépossession.
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JEAN
VUILLEUMIER
La Rémission, L'Âge
d'Homme, 1997.
Avec
La Rémission, Jean Vuilleumier nous donne sans
doute l'un de ses plus beaux livres. Ce bref roman, intense
et tendu comme une corde, met en scène la confrontation
d'un vieux libraire, Germain Lancelot, avec l'homme qui, une
vingtaine d'années auparavant, a violenté sa sur.
Face à face impromptu, à la fois passionnel et
dépassionné, entre deux hommes que tout sépare
(sinon l'amour des livres).
L'originalité
du livre de Vuilleumier tient en ceci que chacun des deux hommes
cherche en l'autre une forme de rémission : le
coupable, d'abord, qui, loin de refuser sa faute, l'accepte,
l'assume, veut en payer le prix, mais a besoin du regard de
Germain pour être absous ; quant au libraire, il se trouve
lui aussi en sursis, puisqu'atteint d'un cancer il vit
une rémission dont il essaie de profiter.
Tout
le roman tient dans cet intense suspens : peut-on pardonner
une faute, même ancienne, même monstrueuse ? Et
quel est le prix du pardon ?
Si
ces thèmes rappellent d'autres livres de Vuilleumier
(L'Allergie, La Substitution), l'écrivain genevois
use ici d'une palette tout à fait différente :
une grande sérénité baigne ces pages souvent
joyeuses, arrosées de bons vins (Chiroubles
), agrémentées
de douces nourritures terrestres. Comme si le temps, ou l'approche
de la mort, avait tué en Germain Lancelot toute forme
de ressentiment, le préparant à rompre enfin "
le cercle magique de la haine et de la vengeance ".
Sans
amour et sans haine : voilà les derniers mots de cet
homme en sursis qui trouve une délivrance à ses
tourments dès la seconde où, tacitement, "
il se charge de l'ancienne faute de son visiteur, afin d'en
partager avec lui le poids.
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JEAN
VUILLEUMIER
La Divergence, roman,
L'Âge d'Homme, 2002.
Écriture
et transcendance
Dans
La Divergence, Vuilleumier prend prétexte d'un
voyage outre-Atlantique, dans la belle ville de Toronto où
il est invité à recevoir un Prix littéraire,
pour revenir sur ce qui constitue l'un de ses thèmes
de réflexion préférés (depuis L'Effacement,
paru en 1991) : la tentation de se retirer du monde, dans
un couvent ou en faisant vu de silence, pour interroger
Dieu et répondre à l'énigme de la transcendance.
Faisant
alterner le récit (distancié) et les extraits
de son journal intime, Vuilleumier nous invite à suivre
les pas de Pascal Malivert, ancien journaliste dans un quotidien
genevois et aujourd'hui écrivain à temps plein.
Au hasard des rencontres, Malivert, qui traverse une crise d'"infertilité"
impuissance à décrire le monde en même
temps que sentiment d'inutilité et d'imposture ,
va retrouver le fil de l'écriture. Mais à quoi
bon écrire ? " Par besoin. Comme s'il m'était
nécessaire de transcrire ce que je vis pour en prévenir
la dissolution. C'est un peu une tentative de prendre forme,
de conquérir une cohérence sur le non-être.
"
Le
charme de Toronto
Ou
encore : à quoi bon écrire dans une civilisation
de l'immédiat, du tapage médiatique, de la tyrannie
économique ? Pour affirmer sa divergence, avance
Vuilleumier, son irréductibilité. Même s'il
se nourrit de la réalité comme un vampire (réalité
qu'il transforme toujours en fiction) l'écrivain nous
tend un miroir qui n'est pas un reflet du réel, mais
un révélateur de nos comportements secrets, et
des pièges que recèle le monde.
Avec
minutie et sensualité, Vuilleumier nous restitue l'odeur
des rues de Toronto, l'enfilade des colonnes surmontées
de dragons aux yeux multicolores de Chinatown, les petites boutiques
de little Italy et, bien sûr, l'extraordinaire
capharnaüm du restaurant Honest Ed, lieu mythique de la
ville canadienne. Pourtant, ce n'est pas là que Malivert
retrouvera l'inspiration, mais aux chutes du Niagara, qui véritablement
féconderont son écriture. En même
temps que la rencontre avec le consul de Suisse, Bertrand Ravenel,
qui porte en lui un secret douloureux : affirmant elle aussi
sa divergence, sa fille s'est retirée dans un couvent,
abandonnant le monde et sa famille. Douleur du père et
dépression de la mère. Mais fascination de Malivert
pour qui ce retrait est peut-être le geste le plus
noble qui soit. Le roman se termine sur ces interrogations transcendantales,
thème cher à Vuilleumier, qui mêlent sacrifice
et vocation, silence et don de soi.
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