FEUILLETON LITTÉRAIRE
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Dernière mise à jour le 22 juillet 2004

 

 

FEUILLETON LITTÉRAIRE

DANIEL DE ROULET
Gris-bleu, roman, Le Seuil, 1999.

 

L'Odyssée de Roulet

Troisième volet de son triptyque sur le bleu, " saga des générations du siècle qui s'achève ", le dernier livre de Daniel de Roulet (né à Genève en 1944) est un livre inclassable. S'appuyant sur un modèle illustre (l'Odyssée), il nous relate les pérégrinations d'un jeune japonais lancé à la recherche d'une mystérieuse organisation qui contrôle et trafique les inséminations artificielles…

Dès les premières pages, on retrouve un thème cher à Daniel de Roulet : comment échapper au Père ? À sa Loi ? À son désir ? Comment un fils peut-il sortir de cette fatalité biologique (considérée comme une tragédie) qui attribue au Fils tel Père – et non tel autre ?

Le héros de Gris-bleu*, Japonais aux yeux clairs et à la haute taille (une sorte de mutant), semble avoir subtilement résolu le problème : il est le fruit d'un hasard génétique – c'est-à-dire d'une éprouvette. Il n'est donc le fils de Personne. Ce qui, loin de plonger Tsutsui dans des abîmes d'angoisse, le rassure plutôt. Pas de dette à payer, ni de Père à tuer : le Fils est enfin libre d'être lui-même.

Un jour, pourtant, les ennuis commencent : notre héros perd l'un après l'autre ses deux frères, victimes d'une étrange maladie. Quittant le Japon, Tsutsui se rend d'abord à Vancouver, puis à Brasilia, puis à Paris, pour mener son enquête sur les agissements d'une terrible secte (aux allures New Age). Entretemps, il aura rencontré une femme dont il tombe amoureux, puis une autre qui voudra sa peau. Au bout du compte, il apprendra une vérité surprenante, mais aussi rassurante : son père a bel et bien existé, mais c'est une ombre, à peine un prénom écourté (un certain Max).

Comme les deux précédents livres de Daniel de Roulet, Gris-bleu est un roman virtuel. Il explore le simulacre, le génie génétique, la manipulation et la duplication des êtres comme des choses. Son univers est déroutant, parce qu'à la fois référentiel (donc réaliste) et farfelu, invraisemblable, voire improbable (le personnage de Mme Amati, par exemple, a trop peu de réalité pour qu'on y croie vraiment). Les références à l'Odyssée, qui ouvrent chacun des 14 chapitres du roman, ne font qu'ajouter au trouble du lecteur en indiquant une dimension (symbolique) supplémentaire au livre. Ce mélange des genres mis à part, Gris-bleu se lit avec plaisir. De Roulet s'y montre inventif d'un bout à l'autre, parfois caustique et souvent drôle.

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DANIEL DE ROULET
Double, un rapport, Canevas éditeur, 1998.

 

À entendre la prolifération actuelle des discours sur la Suisse, il semble bien que l'une des caractéristiques (sinon la principale) des écrivains de ce pays soit de s'interroger sans relâche sur l'identité helvétique. Qu'est-ce que la Suisse ? Qu'est-ce qu'être suisse ? Qu'est-ce qu'écrire en Suisse ?

Questions bizarres, sinon absurdes, pour les auteurs des pays qui nous entourent comme la France, l'Italie ou l'Allemagne, qui ne comprennent pas cette obsession. Faut-il douter à ce point de sa propre existence pour devoir à chaque occasion (les festivités du 700ème ou, plus récemment, la Foire du Livre de Francfort, dont la Suisse était l'hôte d'honneur) l'affirmer avec force ? Avant même d'écrire, l'écrivain suisse doit-il certifier qu'il existe ?

On connaît les réponses, aussi nombreuses que diverses, à ces questions : Muschg avance qu'au lieu de refaire le passé, ou défaire les mensonges qui le voilent, il faudrait simplement commencer à faire la Suisse, car ici tout reste à faire. Daniel de Roulet se pose en victime désignée des ficheurs de toute sorte, dans un livre à la fois ambivalent et malhonnête. Tandis que Jean Ziegler, lui, poursuit son investigation des dessous de l'Histoire.

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DANIEL DE ROULET
La Ligne bleue, Le Seuil, 1994.

 

L'écriture comme course d'endurance

Né en Suisse en 1944, Daniel de Roulet a reçu, pour son roman Virtuellement vôtre, le Prix Dentan 1994. Aujourd'hui, quittant les éditions Canevas, il se lance dans la bataille parisienne avec La Ligne bleue, son troisième roman, publié au Seuil.

L'idée du livre est originale, et son traitement ne l'est pas moins : Max, un architecte suisse d'une cinquantaine d'années, se lance, avec 25 000 autres coureurs, dans le fameux et implacable " marathon de New York ". Moins de quatre heures, c'est le but qu'il se fixe pour parcourir les 42 kilomètres et des poussières de la course. C'est aussi le temps que le lecteur, parti au même endroit que Max, mettra à lire les quelque deux cents pages du roman. Tandis que l'un suivra, noir sur blanc, les lignes d'écriture sur la page, l'autre essayera de parvenir au bout de cette ligne bleue. peinte sur les chaussées de New York, qui délimite exactement le parcours à suivre par les coureurs.

L'écriture de Roulet s'attache, avec une précision toute scientifique, à décrire par le détail tout ce que Max voit et enregistre. Elle relève davantage d'un travail d'arpenteur, ou de géomètre, que d'écrivain prêt à se perdre dans sa langue. Et c'est sans doute dommage. Ainsi la description des rues que traversent les coureurs, l'atmosphère des quartiers, tel ou tel monument, sont-ils fidèlement répertoriés, mais dans un but, dirait-on, purement touristique.

Parfois, heureusement, le narrateur perd le fil de sa course. Alors, des bribes de son passé surgissent, sa jeunesse " gauchisante ", ses liens avec les mouvements terroristes italiens, le souvenir de l'éditeur Feltrinelli, explosé avec sa bombe au pied d'un pylône électrique. Ces digressions, que la course suscite, comme les interventions d'une ancienne maîtresse de Max, tressent le fil le plus intéressant de son livre, parce que le moins prévisible. Mais, hélas, elles n'occupent pas la place qu'elles auraient mérité. C'est pourquoi le roman de Roulet, malgré ses indéniables qualités, laisse un peu le lecteur sur sa faim, car il est trop léché et, dans un sens, trop parfait. Trop linéaire.

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