FEUILLETON LITTÉRAIRE
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Dernière mise à jour le 22 juillet 2004

 

 

FEUILLETON LITTÉRAIRE

ÉTIENNE BARILIER
Nous autres civilisations... Amérique, Islam, Europe, Carouge (GE), Éditions Zoé, 2004, 149 p.


Barilier au secours de Bush

Georges W. Bush peut dormir sur ses deux oreilles : contre la vague d'antiaméricanisme qui déferle sur l'Europe (et le monde entier), il a trouvé un chevalier sans peur et sans reproche pour défendre sa cause, et pourfendre de son Excalibur les renégats qui le traînent dans la boue. Son nom étonnera les lecteurs romands, puisqu'il s'agit d'Étienne Barilier, plus connu pour ses romans et ses essais sur la musique et la littérature que pour la défense des chefs d'État en perdition. Mais soyons justes : son dernier livre, Nous autres civilisations… mérite qu'on le lise de près et qu'on en parle, car il est passionnant d'un bout à l'autre, malgré ses a priori discutables. Tout commence par une déconstruction subtile des divers discours qui ont fleuri aux quatre coins du monde sur le 11 septembre. Barilier les classe en trois catégories : la version spéculaire signée Arundathi Roy ou Luciano Canfora (Ben Laden n'est que le reflet inversé de Bush) ; la version émanatiste, signée Noam Chomski (Ben Laden n'est qu'une émanation des États-Unis, qui sont " le centre noir de tous les maux ") et la version de Jean Baudrillard, que Barilier appelle moniste-animiste (le terrorisme, c'est le système, dont les Twin Towers n'étaient que les incarnations anthropomorphiques). Même si l'actualité (les tortures, viols, meurtres perpétrés en Irak au nom de la Civilisation) donne tort à Barilier, il faut reconnaître que le débat développé dans la première partie du livre est stimulant, malgré quelques naïvetés. La suite également est intéressante, qui aborde la question de l'altérité de l'Islam, du voile et des femmes, de la parole divine, qui interdit toute forme de démocratie tant qu'elle reste intangible. C'est la conclusion forte du livre de Barilier : plutôt que de nous tourner vers La Mecque ou Washington, tournons nos regards vers Athènes, berceau de la philosophie et de la démocratie. Si les événements du 11 septembre nous apprennent quelque chose, c'est justement cela : que la réponse au terrorisme politique ou religieux, c'est la démocratie, le libre arbitre, l'égalité entre les êtres et les sexes. C'est une leçon qui date un peu, sans doute, mais qu'il faut répéter, partout, à chaque instant, sans se lasser.

 

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ÉTIENNE BARILIER
L'Énigme d'Étienne Barilier, roman, Zoé, 2002.

 

Comme chaque année, le Prix Dentan a été attribué aux Editions Zoé pour L'Énigme d'Étienne Barilier, un roman passablement obscur, lent, laborieux, qui n'égale pas la force d'Une passion ou du Chien Tristan. Dans cette histoire de manuscrit apocryphe, Barilier fait la preuve, à nouveau, de son érudition. Il nous embarque dans une intrigue confuse qui pourrait être passionnante si elle était plus resserrée, et ses personnages plus vivants. Mais le lecteur – même averti – risque ici de se perdre en chemin. Dommage…

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ÉTIENNE BARILIER
Martina Hingis ou la Beauté du jeu, Zoé, 1997.

 

Le coup droit de Barilier

Voilà quelqu'un, au moins, qui n'a pas perdu de temps ! À peine Martina Hingis a-t-elle remporté ses premiers tournois (en Australie) qu'Étienne Barilier lui consacre une étude, qui tient tout à la fois de l'hagiographie, de l'essai philosophique et du genre très couru aujourd'hui de la biographie de star.

Comme d'habitude, on retrouve la finesse de Barilier dont l'analyse des rapports entre l'art et le jeu (" l'espace de la gratuité, le terrain de la beauté ") est remarquable, tout comme son approche sémiologique du tennis (le rôle de l'échauffement, le jeu de la raquette, la fonction du service, etc.). Remarquable, également, son approche de la force, en relation constante avec la figure des échecs : " Martina Hingis, spécialiste des mats inverses, où la pièce victorieuse sera le cheval noir. Être plus fort que la force : là encore, c'est faire surgir l'être dans le faire, non plus à l'aide de la grâce, mais de la fantaisie. " Comme on le voit, l'analyse de Barilier est d'autant plus plaisante qu'il s'amuse, dirait-on, à échanger des balles avec la petite princesse de Truebach.

Pourtant, là où l'on a plus de peine à le suivre, c'est quand il s'engage dans une explication philosophique, qui semble lourde et bien datée, n'hésitant pas à convoquer Platon (bien sûr), Aristote et quelques autres pour donner un fondement métaphysique à un jeu qui, on s'en doute, n'en a nul besoin. La balle de Martina Hingis est-elle vraiment " esprit fusant, droiture, éclat, ligne parfaite " ? C'est une approche bien limitée de la question, toute empreinte d'idéalisme, de désir de pureté, de magnification de la beauté.

Et pourquoi enfermer le jeu dans un simple combat d'Idées, fût-il platonicien, alors qu'il est l'expression même de la pure liberté ?

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ÉTIENNE BARILIER
Un rêve californien, Éditions Zoé, 1995.

 

Un rêve inabouti

Après ses longs déboires avec L'Âge d'Homme, Étienne Barilier nous revient, chez Zoé cette fois-ci, avec un roman et un essai. Jean Romain, dans sa précédente Ana-chronique (voir Scènes no86), a dit tout le bien qu'il pensait de son Éloge du progrès, et aussi ses réserves. C'est pourquoi nous n'y reviendrons pas.

Reste Un rêve californien, épais roman allégorique, qui raconte comment Arthur Franz, un Suisse " très peu suisse ", richissime et malade, invite dans sa superbe propriété californienne quelques amis d'enfance, tous camarades d'école, pour un anniversaire étrange dont le motif, comme le jour, ne sont pas révélés. Parmi les invités, il y a André Rueil, professeur gauchisant, " tâcheron formaliste ", " incapable de goûter et de faire goûter le sel des œuvres ", Jacques Asturies, " représentant type de la vieille école ", Bertrand Dubord, le cancre de la classe devenu financier, le Docteur Jean de Hart, et le duo inénarrable que forment Périnde et Badavert, le premier " légèrement gras et prompt à rougir, se vantant volontiers de sa belle santé physique et morale ", et le second, "un peu maigre et prompt à blémir, prêchant discrètement l'ascèse. " Comme on l'imagine, le rêve d'un Nouveau Monde, d'abord éblouissant, fait vite place au cauchemar. Les masques tombent et, à mesure que la vérité se fait jour, les personnages sont obligés de se trahir. Ce qui, bien entendu, révèlera les bassesses de leur âme, et confondra chacun dans un silence honteux et partagé.

S'il ne compte pas parmi les plus grandes réussites de Barilier, Un rêve californien se laisse lire avec plaisir. On y retrouve toutes les finesses de son auteur, mais aussi, quelquefois, ses naïvetés. Trop prolixe (comme toujours !), et engoncé de parenthèses explicatives, le roman a de la peine à démarrer. Les personnages – en tant qu'allégories vivantes – ont peu de chair, et beaucoup de pensée. C'est peu dire que l'auteur, cédant à sa facilité d'écrire, a tendance à grossir le trait : à force d'ironie et de jugements péremptoires, ses personnages ressortissent davantage à la caricature qu'à une quelconque vraisemblance romanesque. Ce qui, bien sûr, est dommage : en " fermant " ainsi le jeu et en montrant des êtres à jamais prisonniers de leur psychologie, Barilier se prive (et prive en même temps le lecteur) des surprises sans lesquelles il n'y a pas de bon roman.

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