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ÉTIENNE
BARILIER
Nous autres civilisations... Amérique,
Islam, Europe, Carouge (GE), Éditions
Zoé, 2004, 149 p.
Barilier au secours de Bush
Georges
W. Bush peut dormir sur ses deux oreilles : contre la vague
d'antiaméricanisme qui déferle sur l'Europe (et
le monde entier), il a trouvé un chevalier sans peur
et sans reproche pour défendre sa cause, et pourfendre
de son Excalibur les renégats qui le traînent dans
la boue. Son nom étonnera les lecteurs romands, puisqu'il
s'agit d'Étienne Barilier, plus connu pour ses romans
et ses essais sur la musique et la littérature que pour
la défense des chefs d'État en perdition. Mais
soyons justes : son dernier livre, Nous autres civilisations
mérite qu'on le lise de près et qu'on en parle,
car il est passionnant d'un bout à l'autre, malgré
ses a priori discutables. Tout commence par une déconstruction
subtile des divers discours qui ont fleuri aux quatre coins
du monde sur le 11 septembre. Barilier les classe en trois catégories
: la version spéculaire signée Arundathi
Roy ou Luciano Canfora (Ben Laden n'est que le reflet inversé
de Bush) ; la version émanatiste, signée
Noam Chomski (Ben Laden n'est qu'une émanation des États-Unis,
qui sont " le centre noir de tous les maux ")
et la version de Jean Baudrillard, que Barilier appelle moniste-animiste
(le terrorisme, c'est le système, dont les Twin Towers
n'étaient que les incarnations anthropomorphiques). Même
si l'actualité (les tortures, viols, meurtres perpétrés
en Irak au nom de la Civilisation) donne tort à Barilier,
il faut reconnaître que le débat développé
dans la première partie du livre est stimulant, malgré
quelques naïvetés. La suite également est
intéressante, qui aborde la question de l'altérité
de l'Islam, du voile et des femmes, de la parole divine,
qui interdit toute forme de démocratie tant qu'elle reste
intangible. C'est la conclusion forte du livre de Barilier :
plutôt que de nous tourner vers La Mecque ou Washington,
tournons nos regards vers Athènes, berceau de la philosophie
et de la démocratie. Si les événements
du 11 septembre nous apprennent quelque chose, c'est justement
cela : que la réponse au terrorisme politique ou religieux,
c'est la démocratie, le libre arbitre, l'égalité
entre les êtres et les sexes. C'est une leçon qui
date un peu, sans doute, mais qu'il faut répéter,
partout, à chaque instant, sans se lasser.
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ÉTIENNE
BARILIER
L'Énigme d'Étienne Barilier,
roman, Zoé, 2002.
Comme
chaque année, le Prix Dentan a été attribué
aux Editions Zoé pour L'Énigme d'Étienne
Barilier, un roman passablement obscur, lent, laborieux, qui
n'égale pas la force d'Une passion ou du Chien
Tristan. Dans cette histoire de manuscrit apocryphe, Barilier
fait la preuve, à nouveau, de son érudition. Il
nous embarque dans une intrigue confuse qui pourrait être
passionnante si elle était plus resserrée, et
ses personnages plus vivants. Mais le lecteur même
averti risque ici de se perdre en chemin. Dommage
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ÉTIENNE
BARILIER
Martina Hingis ou la Beauté du jeu, Zoé,
1997.
Le
coup droit de Barilier
Voilà
quelqu'un, au moins, qui n'a pas perdu de temps ! À peine
Martina Hingis a-t-elle remporté ses premiers tournois
(en Australie) qu'Étienne Barilier lui consacre une étude,
qui tient tout à la fois de l'hagiographie, de l'essai
philosophique et du genre très couru aujourd'hui de la
biographie de star.
Comme
d'habitude, on retrouve la finesse de Barilier dont l'analyse
des rapports entre l'art et le jeu (" l'espace de la
gratuité, le terrain de la beauté ")
est remarquable, tout comme son approche sémiologique
du tennis (le rôle de l'échauffement, le jeu de
la raquette, la fonction du service, etc.). Remarquable, également,
son approche de la force, en relation constante avec
la figure des échecs : " Martina Hingis, spécialiste
des mats inverses, où la pièce victorieuse sera
le cheval noir. Être plus fort que la force : là
encore, c'est faire surgir l'être dans le faire, non plus
à l'aide de la grâce, mais de la fantaisie.
" Comme on le voit, l'analyse de Barilier est d'autant
plus plaisante qu'il s'amuse, dirait-on, à échanger
des balles avec la petite princesse de Truebach.
Pourtant,
là où l'on a plus de peine à le suivre,
c'est quand il s'engage dans une explication philosophique,
qui semble lourde et bien datée, n'hésitant pas
à convoquer Platon (bien sûr), Aristote et quelques
autres pour donner un fondement métaphysique à
un jeu qui, on s'en doute, n'en a nul besoin. La balle de Martina
Hingis est-elle vraiment " esprit fusant, droiture,
éclat, ligne parfaite " ? C'est une approche
bien limitée de la question, toute empreinte d'idéalisme,
de désir de pureté, de magnification de la beauté.
Et
pourquoi enfermer le jeu dans un simple combat d'Idées,
fût-il platonicien, alors qu'il est l'expression même
de la pure liberté ?
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ÉTIENNE
BARILIER
Un rêve californien, Éditions
Zoé, 1995.
Un
rêve inabouti
Après
ses longs déboires avec L'Âge d'Homme, Étienne
Barilier nous revient, chez Zoé cette fois-ci, avec un
roman et un essai. Jean Romain, dans sa précédente
Ana-chronique (voir Scènes no86), a dit tout le
bien qu'il pensait de son Éloge du progrès,
et aussi ses réserves. C'est pourquoi nous n'y reviendrons
pas.
Reste
Un rêve californien, épais roman allégorique,
qui raconte comment Arthur Franz, un Suisse " très
peu suisse ", richissime et malade, invite dans sa
superbe propriété californienne quelques amis
d'enfance, tous camarades d'école, pour un anniversaire
étrange dont le motif, comme le jour, ne sont pas révélés.
Parmi les invités, il y a André Rueil, professeur
gauchisant, " tâcheron formaliste ",
" incapable de goûter et de faire goûter
le sel des uvres ", Jacques Asturies, "
représentant type de la vieille école ",
Bertrand Dubord, le cancre de la classe devenu financier, le
Docteur Jean de Hart, et le duo inénarrable que forment
Périnde et Badavert, le premier " légèrement
gras et prompt à rougir, se vantant volontiers de sa
belle santé physique et morale ", et le second,
"un peu maigre et prompt à blémir, prêchant
discrètement l'ascèse. " Comme on l'imagine,
le rêve d'un Nouveau Monde, d'abord éblouissant,
fait vite place au cauchemar. Les masques tombent et, à
mesure que la vérité se fait jour, les personnages
sont obligés de se trahir. Ce qui, bien entendu, révèlera
les bassesses de leur âme, et confondra chacun dans un
silence honteux et partagé.
S'il
ne compte pas parmi les plus grandes réussites de Barilier,
Un rêve californien se laisse lire avec plaisir.
On y retrouve toutes les finesses de son auteur, mais aussi,
quelquefois, ses naïvetés. Trop prolixe (comme toujours
!), et engoncé de parenthèses explicatives, le
roman a de la peine à démarrer. Les personnages
en tant qu'allégories vivantes ont
peu de chair, et beaucoup de pensée. C'est peu dire que
l'auteur, cédant à sa facilité d'écrire,
a tendance à grossir le trait : à force
d'ironie et de jugements péremptoires, ses personnages
ressortissent davantage à la caricature qu'à une
quelconque vraisemblance romanesque. Ce qui, bien sûr,
est dommage : en " fermant " ainsi le jeu et en montrant
des êtres à jamais prisonniers de leur psychologie,
Barilier se prive (et prive en même temps le lecteur)
des surprises sans lesquelles il n'y a pas de bon roman.
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