FEUILLETON LITTÉRAIRE
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Dernière mise à jour le 22 juillet 2004

FEUILLETON LITTÉRAIRE

OLIVIER BEETSCHEN
Le Sceau des Pierres, Éditions Empreintes, 1996.

 

Les défricheurs du verbe

Après un premier livre très remarqué, À la nuit, saga des origines depuis le premier cri, Olivier Beetschen, animateur de la Revue de Belles-Lettres et professeur au Collège de Genève, nous donne aujourd'hui Le Sceau des Pierres, un livre magnifique qui est la somme de vingt années de poésie.

Écrire est un voyage où l'être se cherche à travers les visages et les mots, les sons et les parfums, les émotions, les paysages entraperçus ou seulement rêvés. Voilà pourquoi Le Sceau des Pierres est un parcours initiatique – qui commence à Ceylan, pour aboutir, en fin de course, à Genève, après des haltes à Paris, en Crète ou à Madagascar – jalonné de poèmes qui sont autant de signes ou de galets ramassés en chemin. De la prose brisée de Ceylan (1974), rongée par l'inquiétude, au " Tournant " genevois (1995), marquée par l'arrivée d'une " troisième personne " dont le murmure, longtemps rêvé, " relie l'espérance au chapitre des ancêtres ", quelque chose se passe, dans l'échange incessant avec le monde du dehors, qui n'est rien d'autre, peut-être, que la naissance du poète à lui-même.

Du chaos à l'écho

Cette naissance, par stases ou voyages successifs, rejoint le questionnement des origines qui se trouvait au centre, déjà, du premier livre de Beetschen. Si l'écriture, ici, plonge à des profondeurs plus intimes, faisant courir au voyageur (" Bourlingueur du Très Haut ou défricheur du verbe ") le risque angoissant du chaos, elle débouche pourtant sur la lumière : écho, dans l'écriture, de " l'autre vie " qui est appel et création tout à la fois, et confluence, aussi, de deux désirs qui se mélangent sans jamais se confondre.

À la nuit décrivait la lente venue au monde d'une tribu jetée dans le langage ; avec Le Sceau des Pierres, le jour est là, avec ses pièges et ses promesses, sa musique obsédante, et le monde est ouvert, à jamais, dans sa beauté complexe.

Épiphanies, reflets, instantanés éblouissants : le poète cherche à saisir le monde moins pour en capter (ou en désamorcer) les charmes que pour se faire le lent archéologue de lui-même.

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OLIVIER BEETSCHEN
À la nuit, Éditions Lézardes, 1995.

 

La Fable des Origines

C'est un récit subtil et envoûtant qu'Olivier Beetschen, responsable de la Revue de Belles-Lettres, nous donne avec À la nuit, son premier livre. Tout à la fois roman et épopée fantastique, À la nuit plonge aux sources de nos mythologies en évoquant l'inexorable venue au jour d'une tribu de chasseurs enfermés dans une grotte, et qui essaient de déchiffrer les signes de leur avenir.

Comme un cri trop longtemps retenu, le récit mime ainsi l'apparition de la parole, qui se nourrit de l'ombre et du silence, avant d'apparaître en plein jour. Écrit dans une langue magnifique, à la fois singulière et précieuse, le livre d'Olivier Beetschen, par sa rigueur, son pouvoir onirique et son rythme haletant, se distingue essentiellement de la production romande " habituelle ", comme de la production française d'ailleurs : c'est un monde en lui-même, qu'il faut interroger sans cesse, plein de violence charnelle, de cris, de cauchemars, d'invocations rageuses, mais dont le charme, comme un philtre puissant, envoûte le lecteur dès les premières pages. Rencontre.

– Quel parcours vous a mené jusqu'à la rédaction d'À la nuit ?

– C'est un livre qui s'est imposé à moi plus que je ne l'ai choisi. Il y a eu dans mon existence une expérience qui m'a beaucoup ébranlé. C'était une sorte de crise nerveuse (j'utilise ce terme parce que je n'en trouve pas de meilleur) et qui était liée à un foudroiement au cours de mon sommeil, et à une voix, un cri, que j'ai cru entendre dans la rue. Cela se passait en 1980, quelque part en Europe de l'Est. Quand je suis revenu à moi, les gens qui m'accompagnaient m'ont certifié que ce n'était pas un cri de femme agressée dans la rue que j'avais entendu, comme je le croyais, mais que c'était moi qui avais crié. Par la suite, j'ai toujours eu peur que cette crise revienne. Quand je suis rentré en Suisse, je me suis mis à écrire un peu à l'aveuglette. Une image ne cessait pas de me hanter : celle d'une tribu prisonnière d'une grotte. Je ne savais pas pourquoi, mais je devais prêter l'oreille à cette tribu. C'était le point de départ d'une entreprise que je devais mener jusqu'au bout. Et c'est seulement à la fin du roman (dont la rédaction a commencé en 1980 pour s'achever quinze ans plus tard) que j'ai compris que ce livre était une réponse à cette crise nerveuse que j'avais eue à Varsovie en 1980.

– Pourquoi une réponse ?

– Parce qu'il y a dans le livre une célébration de la naissance et de l'engendrement qui est liée à l'angoisse de mort. Et sans doute ce qu'il y avait dans cette crise nerveuse était-il de l'ordre de cette angoisse de mort…

– Votre livre ne porte aucun sous-titre. Ce n'est donc ni un récit, ni un roman au sens classique du terme. À quel genre diriez-vous qu'il appartient ?

– Au début, j'étais aussi perplexe que vous ! Je voyais bien que ce n'était pas de la poésie et que ce n'était pas du roman non plus. Pourtant, il y a dans le livre une cohérence à la fois poétique et narrative qui le rattacherait plutôt à l'épopée : une sorte d'épopée fantastique.

– Les protagonistes d'À la nuit appartiennent tous à la mythologie celtique. D'où vient ce goût particulier pour le monde des Celtes ?

– Il y a une double présence mythologique dans mon livre : le monde celtique d'une part, mais aussi le monde scandinave. J'ai été très intéressé par ces deux civilisations, qu'on a longtemps considérées comme frustes et barbares, et que j'ai beaucoup étudiées tandis que j'écrivais mon livre. Or, nous le savons un peu mieux aujourd'hui, ces deux civilisations étaient d'une très grande richesse et d'une très grande subtilité. C'étaient aussi des civilisations de l'imaginaire et du rêve, de l'indiscipline fondamentale jusque dans les récits. Les récits des Mabinogions, qui sont les seuls témoins écrits de la mythologie celtique, font preuve d'une insouciance dans la narration qui est exactement le contraire du classicisme des civilisations latine et grecque qui, elles, avaient un goût pour l'ordre, pour la construction, pour l'organisation. En ce qui concerne la civilisation scandinave, on a souvent cette vision d'une civilisation guerrière – et cela s'arrête là. Alors que la religion scandinave, par exemple, est une religion essentiellement féminine. Ce qui trône au sommet du panthéon germanique, c'est une Mère – et non pas Dieu le Père. Il y a dans ces deux civilisations une sorte de réhabilitation de la femme sur le plan religieux qui m'a énormément impressionné.

– Au fond, vous explorez l'envers de notre civilisation dite judéo-chrétienne ?

– Oui. Pour moi, ces deux civilisations sont une sorte de levier qui fait basculer la conception classique, antique, de l'homme. André Breton l'avait bien compris, quand il a défendu la cause celtique qu'il considérait comme parfaitement antinomique aux civilisations grecques, ou judéo-chrétienne, qui sont des civilisations très masculines, sinon machistes, et qui oublient en quelque sorte la partie féminine de l'être humain. Et là nous revenons à ce que nous disions tout à l'heure : cette femme dont j'ai cru entendre le cri de douleur, il y a quinze ans, à Varsovie, c'était moi !

– Votre livre pourrait s'appeler La Fable des Origines car vous interrogez dans chacun des chapitres (il y en a neuf, comme les neuf mois d'une grossesse) les mythes qui constituent les fondements de la horde primitive. Pourquoi cette allégorie de la naissance ?

– Dans ce livre, j'ai éprouvé le besoin de faire ma propre mythologie. Au départ, il y a cette crise nerveuse qui s'accompagne de l'impression que le monde tombe en morceaux, et qu'il s'agit, pour moi, de recoller les morceaux du monde effondré. Alors ces légendes, toute cette mythologie, c'est le ciment qui m'a aidé à faire en sorte que le monde tienne debout à nouveau. Ce qui m'étonne le plus, ce n'est tellement qu'une vie finisse ; moi, ce qui dépasse mon entendement, c'est que la vie commence ! Pourquoi est-ce qu'elle commence ? L'acte d'engendrer, de donner naissance, reste pour moi un véritable mystère, au sens premier du terme. C'est pourquoi j'ai voulu éclairer cette question : pourquoi est-ce que la vie commence ? Et je me suis rendu compte que le cri que j'avais entendu à Varsovie pouvait tout aussi bien être le cri d'un nouveau-né que celui d'une femme qui accouche.

– Parce qu'il interroge les mythes primitifs, votre livre pose également la question de l'identité, en particulier celle de l'individu prisonnier de l'espèce. En cela il recoupe les grandes questions contemporaines…

– Effectivement. À la nuit peut se lire comme une épopée fantastique qui évoque Tolkien, par exemple. Mais c'est aussi une manière de poser des questions très contemporaines. Se poser la question de l'engendrement, de l'acte de donner naissance, c'est remonter à la source de cette interrogation sur l'identité. On connaît l'idée très répandue qui consiste à dire que l'être est un langage. Moi j'ai le sentiment que l'être est un cri plutôt qu'un langage. On a eu trop tendance à désincarner l'être. À la fin de ce périple, j'ai le sentiment que l'être n'est pas théorique : il est enraciné dans la matière.

– Votre livre est dédié à Yves Velan. Quel rôle a-t-il eu dans l'écriture, ou le désir d'écrire ce livre ?

– Yves Velan est avec Jean Roudaut l'écrivain qui m'a apporté une éthique de l'écriture. Une certaine conception du rôle de l'écrivain sans concession aux modes, à l'attente des éditeurs. Comme eux, j'essaie de trouver ma vérité sans me soucier de l'étrangeté de ma démarche. Mais en ce qui concerne mon livre, je crois pouvoir dire que ni dans les thèmes, ni dans l'écriture Velan ne m'a influencé. Si je me pose la question d'une quelconque influence, je pense plutôt à Corinna Bille, parce qu'elle nous fait entrer dans un monde magique et légendaire. Ou aussi à Catherine Colomb parce qu'elle empoigne son lecteur sans se préoccuper de sa stupéfaction, ou lui donner des points de repère. Ou encore à Monique Saint-Hélier, parce qu'elle a une manière extrêmement sensuelle de dire les chose.

– Vous citez trois écrivains femmes. Est-ce à dire que c'est ce type d'écriture qui vous attire ?

– Peut-être y a-t-il là, comme chez les Celtes ou les Scandinaves, une sorte de proximité de la femme que je retrouve dans la littérature que je viens de citer. En effet, je n'ai pas de maîtres à penser. J'ai plutôt des maîtresses à sentir !

– Y a-t-il une suite À la nuit ?

– Oui. C'est un livre de poésie que j'ai écrit en même temps qu'À la nuit. Ce dernier est le livre des fantasmagories, de la solitude, du cauchemar intime. Tandis que l'autre livre regroupe des poèmes que j'ai écrits au cours de mes voyages, que ce soit à Madagascar, à Ceylan ou au Cachemire. Il y a des moments, quand on voyage, où on se cogne à la réalité comme à un mur de tessons. Et ensuite il y a les cicatrices de ces heurts qui réapparaissent dans ces textes de poésie. Il est donc logique que ce livre paraisse non pas en même temps qu'À la nuit, mais dans les mois qui suivent, aux Éditions Empreintes.

 

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