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Dernière mise à jour le 22 juillet 2004
FEUILLETON LITTÉRAIRE JURG STEINER
Le collègue, éd. Zoé, 1996.
L'écriture face à l'abîmeOn connaît mal, en Suisse romande, l'œuvre de l'écrivain biennois Jürg Steiner (né en 1930), qui jouit pourtant d'une grande notoriété outre-Sarine. Avec Le Collègue, publié cet automne chez Zoé, cette lacune devrait être comblée.
Ce récit, ou plutôt cette longue nouvelle retrace l'errance, strictement minutée, avec ses tours et ses détours, d'un homme désormais sans emploi dans les méandres de sa propre ville. Son cheminement est programmé de telle manière à occuper tout le temps libre dont il dispose – temps qui est maintenant infini : " C'est qu'il finit par mal tourner, celui qui ne veille pas à sa ponctualité. Son pas perd de l'assurance, ses mouvements deviennenzt hésitants. Son plan de vie est bouleversé. "
Jusqu'ici rien de neuf, dira-t-on, dans la description minutieuse de cette étrange occupation (tuer le temps) à laquelle Bernhard Greif consacre toutes ses journées, longeant comme un abîme le canal de la Suze, puis se rendant à la boucherie Rutz, et de là au kiosque à journaux où chaque jour, à la même heure, il prend un billet de loterie…
Non : ce qui fait le prix de cette étonnante promenade (qui nous permet, entre autres, de retrouver la couleur singulière de la ville de Bienne), c'est bien sûr ce collègue que Streif s'invente pour meubler sa détresse, et avec qui il ne cesse de converser. À la fois point de repère et point de fuite, cet étrange personnage contribue à retenir (mais pour combien de temps ?) le pauvre Streif dans un réel qui s'effrite chaque jour un peu plus, le laissant désemparé et comme " mis à la porte du monde. ".
Récit hanté par le silence, Le collègue est une réussite par le dépouillement de son écriture, d'abord, qui restitue parfaitement la vie précaire de son héros, mais aussi par la belle traduction de Gilbert Musy, à la fois musicale et précise.