FEUILLETON LITTÉRAIRE
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Dernière mise à jour le 22 juillet 2004

 

 

 

 

FEUILLETON LITTÉRAIRE

URS WIDMER
L'Homme que ma mère a aimé, roman, Gallimard, 2001.

 

Né en 1938, à Bâle, Urs Widmer est l'auteur d'une dizaine de romans et de récits, la plupart publiés en Allemagne (on en trouve des traductions chez Fayard et à L'Âge d'Homme). Chez nous, il est connu grâce au succès de sa pièce de théâtre, Top Dogs, montée il y a quelques années par la compagnie Gardaz-Michel. Pièce qui, on s'en souvient, mettait en scène une poignée de cadres supérieurs au chômage, et leur faisait passer un entretien d'embauche à la fois drolatique et émouvant.

On retrouve cet esprit cocasse et poignant dans le dernier roman de l'écrivain alémanique, L'Homme que ma mère a aimé. Widmer entreprend d'écrire ici la vie de sa mère, sous une forme romancée, mais, semble-t-il, très proche de la réalité. Ce portrait étonnant de Clara, en même temps qu'une confession bouleversante de l'auteur, est aussi une tentative de réhabilitation de sa mère. Hommage posthume de celui qui a su dompter les mots à la femme qui fut éternellement dans l'ombre et le silence.

L'ombre de Paul Sacher

Tout commence par un curieux tour du destin : Clara, issue d'une riche famille de négociants du Piémont, rencontre un jour Edwin, fou de musique contemporaine et sans le sou (derrière Edwin on peut reconnaître Paul Sacher, le grand mécène et chef d'orchestre bâlois). Elle l'aide à monter son orchestre, joue à la fois les secrétaires, les managers et les nounous, porte littéralement à bout de bras l'orchestre de jeunes musiciens qui donne ses premiers concerts à Bâle dans les années 30. Suivant Edwin comme son ombre, Clara devient sa maîtresse, croyant par là avoir dans la vie du grand homme une place sinon officielle, du moins privilégiée. Elle va même tomber enceinte du chef d'orchestre, qui l'aidera (dans la version qu'elle donnera à son fils) à avorter. C'est par le plus grand des hasards que Clara apprendra, un jour, qu'Edwin vient d'épouser la fille d'un riche industriel bâlois. Elle n'en continuera pas moins à se dévouer pour la cause de l'Orchestre et de son chef, comme si sa vie, toujours, dépendait de cet homme froid et distant, qu'elle ne cesse d'aimer jusqu'à sa mort, et qui ne l'aimait pas. Clara se mariera à son tour, aura un enfant (le narrateur), sombrera dans la dépression, au point de passer de longs mois en clinique, puis elle vivra dans un asile. Jusqu'au moment où elle choisira d'en finir, seul geste de liberté véritable de sa vie, en sautant par la fenêtre de sa chambre.

Dans ce livre magnifiquement traduit par Bernard Lortholary (quel sens du rythme et du mot juste !), Urs Widmer écrit plus qu'un roman. Il joue sa vie à faire revivre cette femme silencieuse, incurable en amour, qui traverse la vie comme une somnambule. Lourd de secrets et de mélancolie, ce roman a le poids des livres essentiels, ceux qui changent à la fois la vie de l'écrivain et celle du lecteur.

 

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