Les livres de Jean-Michel Olivier sont disponbles sur Internet:

*

et aux librairies:
Le rameau d'or

Delphica

G. Haldas

 

LES INNOCENTS
    (Lausanne (CH), Éd. de l'Âge d'homme, coll. Contemporains, 1996, 312 p.)
    
    Quatrième de couverture

 

ÉCHOS
Olivier BEETSCHEN.
 « Les Innocents »
, La Revue de Belles-Lettres, nos 3-4. 1997.

ENTRETIENS
Laurent NICOLET.
«Hénaurme ! Jean-Michel Olivier met en boîte l'intelligentsia lémanique… », Construire, no 42, 16 oct. 1996. p. 43-44.

Frank FREDENRICH
«Un roman explosif »,
Scènes Magazine
, oct. 1996.

 

© Dominique Appia

ŒUVRES

ROMANS
L'Homme de cendre
La Mémoire engloutie
Le Voyage en hiver
Les Innocents
L'Amour fantôme
Nuit blanche

RÉCITS
La Toilette des images
La Chambre noire
La Montagne bleue
L'Enfant secret

NOUVELLES
Le Dernier Mot

ESSAIS
Lautréamont
Virus — de la photographie
L'Empire de la couleur

POÉSIE
L'Œil nu

ENTRETIEN
avec Claude Frochaux

BIBLIOGRAPHIE

CONTACT
jolivier@worldcom.ch

 

 

21 novembre 1994 : Voltaire a trois cents ans.

Pour l'occasion, Genève décerne un prix à l'écrivain qui, par ses œuvres, aura su défendre l'esprit rebelle du philosophe français. Mais en coulisses, les luttes font rage. Faut-il récompenser Emile Dutonneau, l'écrivain du terroir, qui attend depuis toujours sa consécration ? Ou Alain Grillé, le pape de l'avant-garde ? Ou encore Simon Rage, auteur de La Mère de Dieu, un brûlot interdit par toutes les églises ?

Alors que tout le monde festoie, une ombre rôde autour des invités, comme un messager de l'Apocalypse, avec dans une main le Livre et dans l'autre une machine infernale.

Mais qui saura déchiffrer son message ?

 

RETOUR HAUT DE PAGE

 

L'œil de Dieu (extrait)

Tout ce qui est réel est visible et tout ce qui est visible est le réel même, Il n'y a plus de différence entre la vie et son reflet. Impossible de se soustraire à son regard, à sa scénographie, à son jugement. Chacun de nous, comme Simon Rage, est en liberté surveillée. Suivi et espionné par un oeil invisible qui enregistre à chaque instant tous ses gestes, ses désirs, ses émotions. Et tout est archivé dans le grand ordinateur central. Jusqu'à la nuit des temps. C'est dangereux, mais c'est comme ça.

Seule, sous la lumière éblouissante, Solange pense également aux spectateurs, rivés à leur écran, n'osant bouger et retenant leur souffle. Le repas brûle, les gosses piaillent, les voisins s'assassinent, mais rien n'y fait, ils restent hypnotisés dans leur fauteuil. Douce léthargie. Bonheur létal. Chacun jouit, à sa manière, de ce spectacle permanent, sans relâche ni entracte. Chacun jouit de ces images fantômes, Si proches et pourtant irréelles.

Autrefois, on allait au théâtre ou au cinéma. Le spectacle était dans les salles. Chacun savait à quoi S'en tenir. Ce qu'on voyait sur la scène ou sur l'écran, ce n'était pas la vie elle-même, mais son reflet, ou sa caricature. Tout était codifié. L'image et le jeu des acteurs, le genre du film, le cadre du spectacle. Et si le sens de ce qu'on avait vu nous échappait, eh bien tant mieux, il fallait l'inventer, ça ne donnait que plus de poids à la pièce de théâtre ou au film. Aujourd'hui, rien de tel. Il n y a plus de cadre. Mais le spectacle est permanent et universel. On ne distingue plus le réel de ses doubles, ni, bien sûr, la vérité du mensonge ou de la manipulation. De plus il est livré chez soi, monté, prédigéré, absolument gratuit. Il nous donne l'illusion de participer à l'Histoire, mais chacun bien calé dans son fauteuil. Sous nos yeux, les désastres défilent, les guerres, les attentats, les génocides, les prises d'otages. On aime pouvoir se dire que l'on en est immédiatement contemporain. Mais l'image reste vide. Désespérément vide. On était en Pologne quand la Pologne se libérait du communisme. A Tien an Men lorsque les chars assassinaient des étudiants. A Bucarest lors du fameux et sanglant coup d'Etat. Et alors? Rien... Même les images se sont effacées. Passées à la Moulinette de l'Histoire. Seule reste une vague émotion, qui jour après jour se tarit, et le souvenir de quelques fantômes.

Face au miroir, Solange allume une cigarette et admire les ronds de fumée qui sortent de sa bouche.

" Inespéré ! se dit-elle en jubilant. Tout s'est passé comme dans un rêve. Pas selon le programme prévu, mais mieux encore. Il faut savoir improviser. Et là, ma petite SIC, tu es la reine. "

Elle se fait un clin d' dans la glace.

" ce n' est pas fini ! Après la pub il y a cette Dora Sange qui va lire sa tartine, deux minutes au maximum, sinon le GP va zapper, je le sens, et après je reprends le contrôle, interview de quelques huiles, ce n'est pas ce qui manque, puis annonce du grand départ avec ou sans Rage peu importe, on n'a pas besoin de lui pour faire de l'audience et au moins s'il n'est pas là les barbus nous lâcheront les baskets et tout se terminera dans le calme et la bonne humeur. "

A cet instant un sourire éclaire ses traits.

" quant au patron, ce cher Guillaume Hier, il va voir ce qu'il va voir! Après ce qui s'est passé ce soir, il ne pourra plus rien me refuser. "

Elle est prise de fou rire.

" Sous le buffet! Incroyable ! Il s'est caché sous lé buffet... "

Son visage reprend un air de gravité.

" En tout cas je le tiens, s'il refuse de me donner les pleins pouvoirs je balance les images à une heure de forte audience, au milieu du Journal, comme un scoop, oh le malaise, et tout le monde pourra admirer son courage car j'ai l'exclusivité des images, c'est la meilleure nouvelle de la soirée, oui, je veux le voir ramper devant moi, ce couard. "

Elle écrase sa cigarette contre la vitre.

" Cette fois ma petite SIC c'est la promotion assurée, directrice des programmes pour le moins, sinon adjointe du grand patron ou même plus qui sait ? Je vois d'ici la tête de ses conseillers tous verts de rage parce qu'une femme fait mieux que tous les hommes de la maison, surtout ce cafard de Ray Vuilloz qui me harcèle depuis dix ans avec ses sales pattes

qui traînent et ses clins d' lubriques, lui aussi je veux le voir ramper tout nu sur le tapis, oui ramper et demander pardon c'est le moins qu'il puisse faire. "

Elle rajuste sa mèche, met du rouge à ses lèvres, de l'ombre à ses paupières, puis se lève, triomphante, pour reprendre l'antenne.

" Le boss ne pourra rien me refuser, j'ai les images, donc le pouvoir, et je vais lui en faire cracher un maximum. "

RETOUR HAUT DE PAGE