Les livres de Jean-Michel Olivier sont disponbles sur Internet:

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et aux librairies:
Le rameau d'or

Delphica

G. Haldas

 

NUIT BLANCHE
     (Lausanne (CH), Éd. de l'Âge d'homme, coll. Contemporains, 2001.)
        Quatrième de couverture

 

 

ŒUVRES

ROMANS
L'Homme de cendre
La Mémoire engloutie
Le Voyage en hiver
Les Innocents
L'Amour fantôme
Nuit blanche

RÉCITS
La Toilette des images
La Chambre noire
La Montagne bleue
L'Enfant secret

NOUVELLES
Le Dernier Mot

ESSAIS
Lautréamont
Virus — de la photographie
L'Empire de la couleur

POÉSIE
L'Œil nu

ENTRETIEN
avec Claude Frochaux

BIBLIOGRAPHIE

CONTACT
jolivier@worldcom.ch

 

 

C'est la nuit la plus longue de l'année, du siècle, du millénaire. Cinq hommes et cinq femmes la traversent jusqu'au bout. Ils se connaissent ou ne se connaissent pas, mais un fil inssible les relie, car ils sont tous en quête d'amour et de musique, d'émotions fortes, de plaisirs clandestins, de salut.
La nuit qui les déchire, en révélant leur vérité secrète, est aussi celle qui les fera renaître (car nous naissons tous de la nuit).

 

L'œil de Ben (extrait)

L’œil, d’abord, se poserait sur l’eau couleur de lave, charriant des cailloux et des algues, des pans d’écorce noire, des branches arrachées à la berge, il glisserait ensuite au fil du courant sale, tumultueux, qui prend sa source là-bas, dans le glacier français, pour explorer les rives tachées de neige, l’entrepôt des bus orange et des tramways, les cabanes en tôle ondulée, les murs couverts de tags, jusqu’à l’endroit où l’Arve rencontre enfin le Rhône, son frère ennemi, qui prend sa source dans les montagnes, comme lui, mais de l’autre côté

(glacier, torrent, rivière qui se jette dans le lac, s’élargit brusquement, se creuse, s’approfondit, gonfle la voix pour devenir cette plaine d’eau parfaitement étale, tantôt grise et bleue le matin, tantôt couleur d’ardoise le soir, tantôt d’un vert profond et clair, glauque au printemps, à la fonte des neiges, transparente en été, quand les enfants s’y baignent)

puis l’œil glisserait à la jonction des fleuves

(cette fine déchirure qui s’étend jusqu’aux arches du pont)

c'est l'endroit de la ville qu'il préfère, le plus chargé d'images et de secrets

(souvent il emmène Anne sur le pont, à l'automne, par exemple, quand les arbres sur la falaise ont des couleurs de pommes mûres, il entraîne Anne par la main et ils s'arrêtent au beau milieu du pont, à l'endroit où les fleuves se rencontrent, de là ils peuvent contempler toute la ville, c'est magique, par temps clair on voit même la pointe du Jet d'eau, Anne aime bien cet endroit, même si après quelques minutes, penchée au-dessus du vide, les eaux couleur de cendre et de limon, elle est prise de vertige, elle ferme les yeux, alors Ben en profite pour l'embrasser, la serrer contre lui, la réchauffer, car son corps tremble, la garder quelques instants encore dans ses bras)

Ben saisirait, d’un coup, le mélange des contraires, le masculin, le féminin, le vert, le gris, le jour, la nuit, la réunion des différences faisant route, sans le savoir, sans le vouloir, vers la mer invisible qui les appelle.

L'homme virtuel

Atome ridicule perdu dans la fourmilière des hommes, perdu et relié aux autres par un simple cordon téléphonique, le monde vient à lui par un écran, le monde entier en une seconde

(il suffit d'appuyer sur un bouton, de régler le volume)

car désormais il ne sort plus, il commande ses repas par email, il rencontre des filles à foison sur morgane.ch, des filles faussement sages ou délurées qui moyennant finance dévoilent une partie toujours humide de leur anatomie, certaines nuits il s'aventure même sur des sites qui lui donnent des frissons comme gayland.com ou blacklove.com sur lesquels il se fait draguer par des types à moustache qui n'y vont pas par quatre chemins

(heureusement qu'entre ces bêtes et lui il y a l'écran de verre)

il suit tous les matches de foot en même temps grâce au miracle de la fibre optique, il commande ses billets d'avion pour Nice ou Amsterdam sur EasyJet.com quand les caresses virtuelles ne lui suffisent plus, il visite des maisons de rêve, des musées insolites à l'autre bout du monde où il n'ira jamais, il se livre entièrement aux joies du cocooning

(comme on est bien quand on est seul, tout seul et relié au monde par des écrans qui l'avertissent s'il se passe quelque chose : la TV qui clignote et l'autre écran, là-bas, près de son lit, qui fait entendre un petit carillon quand un nouveau message tombe dans sa boîte électronique)

alors son cœur se met à battre comme s'il vivait vraiment, comme s'il était vraiment vivant, comme s'il faisait partie du monde des vivants, car quelqu'un dans le monde pense à lui, quelqu'un dans ce monde le désire, lui, l'individu atomisé, le Fou de l'Internet, il enfourche sa chaise comme le héros d'Easy Rider sautait sur sa bécane, il attrape sa souris, dirige la petite flèche sur l'icône du courrier

(une enveloppe à droite et en bas de l'écran)

clique fébrilement, se réjouit des mots qu'il va lire dans une seconde

(car il vit dans un temps immédiat)

et des images qu'Anna peut-être a jointes à son courrier, des photos d'elle dans sa cuisine ou sa salle de bains, on ne voit que ses jambes interminables, ses seins comprimés dans une chemise de cow-boy nouée sur le nombril, ses cheveux blonds flottant sur ses épaules, son cul mirobolant, déjà l'eau lui monte à la bouche, il n'est plus seul, mais il est toujours libre, dans le désir il clique sur l'icône

NOUVEAU MESSAGE

mais au lieu des photos de la vestale dans sa cuisine, c'est un message publicitaire vantant les mérites d'un nouveau dentifrice au fluor qui rend les dents vraiment plus blanches

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