C'est au début du
siècle, dans la cour d'une ferme, l'image est encore floue.
Un enfant joue au ballon.
Il s'appelle Jules. Il a huit ans, neuf ans peut-être. Il court
au milieu des lapins, des oies, des poules, tandis que son père,
manches retroussées, coupe du bois.
Il fait chaud, c'est l'automne.
L'homme s'éponge le front, puis reprend son travail, infatigablement,
pendant que l'enfant gambade autour de lui.
Soudain, le ballon rebondit
sur le billot et le gamin se précipite pour l'attraper.
Il ne voit pas son père
qui fend le bois. Il ne voit pas la hache qui tombe comme un éclair.
Il ne voit pas le ciel qui s'ouvre brusquement.
L'homme non plus n'a rien
vu.
Ou plutôt il a vu
l'enfant qui surgissait, mais trop tard, la hache était déjà
partie.
Elle a frappé l'enfant
derrière la tête et le sang a giclé.
Tout de suite, le père
s'en est pris à l'enfant. Mais quand il a vu qu'il pleurait,
et le sang qui coulait de sa tête, il s'est calmé, le juge
de paix de la côte vaudoise.
À la mère
qui criait, il a dit que ce n'était qu'une éraflure, et
que l'enfant n'avait pas à jouer dans ses jambes. Que ça
lui apprendrait.
La mère a nettoyé
le sang, il y en avait partout, sur le visage, sur les mains, les habits.
Quand elle eut fini, l'enfant
s'est arrêté de pleurer, miraculeusement, comme s'il était
guéri.
Alors la mère s'est
dit que l'homme avait raison, comme toujours.
On a enveloppé la
tête de l'enfant dans une serviette bien serrée pour arrêter
l'hémorragie.
Et plus personne n'en a
parlé.