Les livres de Jean-Michel Olivier sont disponbles sur Internet:
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et aux librairies:
Le rameau d'or
LA
TOILETTE DES IMAGES
(Frangy
(FR), Éd. Actuels, 1981, 114 p.)
ŒUVRES
ROMANS
L'Homme
de cendre
La Mémoire engloutie
Le Voyage en hiver
Les Innocents
L'Amour fantôme
Nuit blanche
RÉCITS
La Toilette des images
La
Chambre noire
La Montagne bleue
L'Enfant secret
NOUVELLES
Le Dernier Mot
ESSAIS
Lautréamont
Virus — de la photographie
L'Empire de la couleur
POÉSIE
L'Œil nu
ENTRETIEN
avec
Claude Frochaux
CONTACT
jolivier@worldcom.ch
LE VOYEUR DE LA VUE, Jean-Marie LE SIDANER, in Canal, nos 47-48, juin 1982.
La photographie suscite l'inflation verbale comme si elle ne se suffisait pas à elle-même, sans doute parce qu'il reste à saisir son mode d'être propre qui ne relève certainement pas de la suffisance des discours. L'attesterait a contrario la fameuse démonstration consistant à faire varier le sens d'une image en modifiant sa légende. Que reste-t-il ? La photo livrée à notre regard dans sa nudité. " Ainsi nous parle-t-elle, à propos de chaque chose, de moins que la chose, mais de nous, et à nous, et à propos de nous, de moins que nous, de ce moins que rien qui demeure quand il n'y a rien " écrit Jean-Michel Olivier.Nudité au-delà ou en deçà de la peau, ou plutôt moment où nous saisissons le vide de sens que comble le mot nudité. De ce fait, la photo nous ouvre à notre pur désir de posséder une mémoire. Mais, au lieu de nous laisser croire que son objet appartient au passé, elle le présentifie dans la transparence du simulacre, dans son urgence et sa gratuité.
Partant d'une réflexion de Proust sur la nécessité de " cette chambre noire dont l'entrée est condamnée tant qu'on voit du monde ", et par laquelle nos plaisirs acquièrent réalité une fois dérobés au temps, il entreprend un voyage non pas autour d'une image, mais dans les saisies successives des soi qu'elle suscite.
Car l'acte de photographier ne consiste pas tant à dérober l'image de l'autre qu'à tenter de se mettre soi-même hors de portée du regard de l'autre. Si bien que la photo reproduit très exactement cette distance à bien des égards ambiguë, puisque le spectateur s'y trouve " placé " lui aussi, il doit rencontrer un objet qui ne veut rien dire en soi, qui est un appel d'air au sens que Barthes donne à l'" air " : un signe de reconnaissance unique qui ne résulte pas du code de la représentation. " La figure surprise par le photographe disparaît, telle Eurydice, dès qu'il se tourne vers elle pour la " saisir " – et s'évanouit sous le vernis de l'image : elle se retire derrière la vitre. "
En ce sens, et c'est le point fort de ce remarquable récit, la photo joue en notre siècle le rôle tenu dans la Grèce antique par l'énigme. Jean-Michel Olivier évoque à ce propos le Sphinx. Comme le rappelle Giorgio Colli, il existe une grand disproportion entre l'énoncé de l'énigme et son enjeu mortel. De la même façon, la photo se présente comme un simulacre transparent de la mémoire : de n'importe quelles photos, nous pouvons fabriquer notre album de famille.
La photo n'a pas de présent, et nous lui sommes, forcément, présents : l'absence visible du photographe, puis la nôtre, s'y sont inscrites d'un coup, reconnaissables et innommables ; aucun discours ne pourra rien y changer. L'enjeu n'en est pas moins mortel : non pas, comme on l'a superficiellement répété, parce que la photo fige le vivant, mais parce qu'elle rend improbable, ou en tout cas inespérée la possibilité d'identifier le vivant. Les Égyptiens le savaient déjà bien qui vidaient les cadavres, n'en conservant que l'apparence : juste ce que le regard pouvait reconnaître, c'était assez pour permettre à " l'oiseau de l'âme " de réintégrer quelque lointain jour le corps quitté au moment du décès. Plaisir et danger de l'image photographique : avec elle, on ne s'y retrouve jamais, on s'y raconte à perte de regard ; en acceptant l'énigme pourtant évidente de cette mince paroi brillante qui nous lie à l'Autre dans sa plus extrêmement singularité. Dans sa solitude : la photo n'est pas un art collectif.