Les livres de Jean-Michel Olivier sont disponbles sur Internet:

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et aux librairies:
Le rameau d'or

Delphica

G. Haldas

LA MÉMOIRE ENGLOUTIE (Paris, Mercure de France, 1990, 457 p.)

        ENFERS ET SUBLIMATIONS par Joël Schmidt in L'Express, 13 oct. 1990.

 

ŒUVRES

ROMANS
L'Homme de cendre
La Mémoire engloutie
Le Voyage en hiver
Les Innocents
L'Amour fantôme
Nuit blanche

RÉCITS
La Toilette des images
La Chambre noire
La Montagne bleue
L'Enfant secret

NOUVELLES
Le Dernier Mot

ESSAIS
Lautréamont
Virus — de la photographie
L'Empire de la couleur

POÉSIE
L'Œil nu

ENTRETIEN
avec Claude Frochaux

BIBLIOGRAPHIE

CONTACT
jolivier@worldcom.ch

Tandis que Ies membres d'un certain jury littéraire poussent l'imposture jusqu'à sélectionner des romans qui ne sont pas encore parus (Ces menteurs affirmeront sans doute qu'ils les ont lus sur épreuves), les bons romans affluent particulièrement nombreux cette année et, dans cette rentrée, La Mémoire engloutie de Jean-Michel Olivier apparaît d'une belle originalité.

Dans le temps où il se dit, Simon revoit défiler des séquences de sa vie et ce qu'on appelle, en mémoire de Freud, des scènes primitives, depuis sa naissance jusqu'à sa mort par noyade. Ce long roman, qui se déroule dans un temps de lecture abondant et se fond dans le court instant du passage à trépas, pousse même Simon au-delà de sa naissance dans ces temps anciens où peut-être il s'est retrouvé, reflet d'un ancêtre des cavernes, avant de vivre neuf mois inouïs d'aventures, de plaisirs, de découvertes, de jeux, dans un univers où la chair n'est point perçue comme telle, mais comme un monde entier où on pourrait rester pour l'éternité.

Le voici né, Simon, qui préférerait ramper que marcher et soumis aux épreuves de la gravitation et de la pesanteur avant de connaître les affres de sa reconnaissance sexuelle, avec les peurs, les dégoûts, les remords, les angoisses et Ies fantasmes qui les accompagnent et d'imaginer des aventures amoureuses ou téméraires au cinéma des années 56-57 ou dans les rêveries sur sa mère d'origine italienne, Livia, dont il ne s'est jamais vraiment décroché et qui lui apparaît comme le mystère fascinant de découvertes interdites dans une Suisse dont Jean-Michel Olivier connaît bien les contours souvent austères.

Jamais sevré, toujours boulimique, Simon invente, lorsqu'il ne les vit pas, des romances amoureuses dont il sort épuré, exsangue, comme jadis René confronté au vague des passions. On pourrait continuer ainsi à dévider comme des perles et des diamants que l'on fait rouler devant ses yeux émerveillés tous ces petits récits de La Mémoire engloutie qui forment les souvenirs éclatés d'une vie jamais blasée, toujours capturée par des émotions inattendues. Inventif, façonné par des écritures où l'inconscient affleure sans pesanteur comme le clair-obscur de toutes les expériences de Simon, d'une assurance stylistique rare qui passe à côté de la crudité, mais n'omet jamais l'interdit, dit le sexe sans paraître complaisant ni déplaisant, tout en le considérant comme essentiel, La Mémoire engloutie de Jean-Michel Olivier est aussi notre mémoire soudain réveillée, traquée dans ses caches, aveuglée par la lumière de la lucidité. Nous nous reconnaissons dans ce livre subtil qui nous dévoile et nous débusque, non pour nous accuser ni nous contraindre, mais pour que nous prenions conscience que vivre est une succession d'instants intenses sur lesquels le temps n'a pas de prise, sinon pour les recomposer faussement La Mémoire engloutie est un écho que rien ne peut arrêter et qui s'enchaîne de récits en récits pour revenir éclore dans notre plus profonde intimité.

 

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LE ROMAN DES ORIGINES, Frank Fredenrich in Scènes magazine, no 41, 1990.

On ne fera pas l'éloge de l'auteur à l'intention des lecteurs de SCENES MAGAZINE. En effet, seuls les néophytes ignorent encore la signature de celui qui fut l'un des co-fondateurs de la revue qu'ils tiennent entre les mains. Les habitués ont pu lire régulièrement des "papiers" consacrés au théâtre, à la littérature, aux expositions, parfois même au cinéma ou à la l'opéra, sans oublier quelques humeurs. Ajoutons à cela une carrière d'enseignant et des critiques dramatiques à La Suisse, de quoi justifier un emploi du temps chargé. Pourtant, tout cela pourrait bien passer au troisième plan, puisqu'il y a encore la vie de famille et la littérature.

Après deux essais, deux récits et un premier roman, L'Homme de cendre, voici que parait au Mercure de France un autre roman, La Mémoire engloutie.

Ce roman, c'est probablement celui des origines. Cela, en soi, ne serait pas une nouveauté. Mais il y a ce début plus qu'inattendu puisqu'il remonte vraiment à l'origine...

La vie d'un homme, croit-on habituellement, commence à sa naissance. Cette croyance simplifie le travail des biographes, qui croient ainsi pouvoir donner un début à ce qui, en réalité, commence bien avant – neuf mois avant – et qui demeure, disons-le, tissé d'obscurité...

– Dans mon roman, j'ai essayé de remonter aux sources, avant la mise au monde – qui est venue au jour, à la violence de la lumière –, c'est pourquoi tout se passe, d'abord, dans la caverne maternelle, refuge à l'abri du dehors, bien sûr, mais aussi immense caisse de résonance c'est l'histoire d'un enfant qui n'aurait, dans le noir, que les infimes vibrations que son oreille perçoit pour imaginer le monde...

S'il est un mot qui vient à l'esprit au sujet de ce commencement, c'est bien celui de cataclysme!

– L'histoire du monde, comme dirait René Thom, c'est l'histoire de ses catastrophes L'histoire de l'homme aussi, si j'ose dire... Elle est ponctuée, dès avant sa naissance, par une série de catastrophes, de cataclysmes. Et la naissance elle-même en est un, puisque l'enfant, brusquement, est jeté nu dans un vide aveuglant et glacé. Il quitte à jamais le bord de mère pour des rivages plus arides. Et tout se passe comme si cette scène – la catastrophe de naissance, le big bang originel – se répétait tout au long de sa vie, sous des formes bien sûr travesties...

De là découle sans doute le fait que l'après big bang parait semé d'embûches, si l'on s'en tient à quelques épisodes auxquels se trouve confronté ce découvreur du monde.

– Oui, l'idée est que ces embûches, ces petites chicanes, ces obstacles plus ou moins périlleux sont autant de seuils qu'il faut franchir pour accéder à un domaine d'expérience autre. Parmi ces seuils que chacun doit franchir, il y a, par exemple, l'épreuve du miroir, mais aussi le premier pas, ou la première cigarette, ou encore le premier face à face avec la mort. Pas la mort violente, non, mais la mort douce : le silence et l'absence de regard, et ce parfum douceâtre qu'exhale un visage cireux, sur le coussin de velours pourpre...

Donc la mort est déjà présente, très tôt. Mais il y a aussi – et surtout ? – la violence. Une violence insidieuse. Violence des mots parfois, mais également une violence des corps toujours latente. L'accident, ou la maladie. La douleur de vivre de Simon, le personnage central ?

– J'ai toujours été fasciné par les accidents, les petits accrocs, les actes ou les gestes manqués. D'abord parce qu'ils arrivent à l'improviste, semblent être les fruits du hasard. Et puis, en y regardant de près, on s'aperçoit que tous ces accidents sont des signes, qu'on peut y lire non pas la volonté de quelque obscur Destin supérieur, mais une sorte de rébus qui, souvent, nous aide à diriger notre vie, dans le noir, vers une autre source de lumière, plus centrale, plus dérobée peut-être. Ces accidents sont aussi l'expression d'une violence que nous portons en nous à la fois comme une source d'effroi et comme un foyer d'énergie...

Le hasard, l'improviste, ces mots font également penser aux rencontres, fortuites ou non qui jalonnent l'existence de Simon.

– Là aussi, comme pour la naissance, il faudrait considérer la vie, les rencontres, les amours de Simon comme une suite de catastrophes ! Non pas au sens négatif du terme, mais au sens positif, si j'ose dire, de nouveau départ : de vrai commencement. Les rencontres les plus fortes, les amours les plus déterminantes sont toujours celles qu'aucune certitude ne laissait présager. Ce sont des événements de pur hasard qui nous permettent, un jour, de vraiment saisir notre chance : ainsi la conception quelque peu hasardeuse de Simon, par un mètre de profondeur, un soir d'orage, alors que Livia et Pierre, ses futurs parents, se trouvent pour la première fois face à face. Ainsi, dans la dernière partie du livre, la rencontre avec la députée féministe Lucrèce Houimet, que Simon retrouve, là aussi, par la plus grande des coincidences...

Parlons justement de féminisme – en essayant, pourquoi ne pas le dire, de se faire l'avocat du diable – pour affirmer que le héros pourrait réveiller quelques réactions brutales de la part d'anciennes combattantes du Woman's lib. N'y aurait-il pas chez Simon quelques traces de cette misogynie très particulière que pratiquent parfois ceux qui aiment les femmes d'une manière effrénée ?

– Probablement. Simon connaît dans le livre plusieurs sortes d'amours. Un amour mortifère avec une jeune femme qu'il emmène au théâtre et qui lui rejoue – à son insu – Fin de partie ! Un amour pour le moins contrarié avec une autre femme, qu'il a connue à l'Université, et qui semble pour lui avoir tous les charmes de l'image (c'est Lucréce Houimet, que Simon retrouve à l'occasion d'une émission de TV). Et puis, avec Judith Sandre, il connaît un amour qui paraît droit sorti des livres qui ont façonné son imagination, puisqu'il rencontre la jeune femme dans une bibliothèque, une première fois à Paris, une seconde fois à Genève, trois ans plus tard. La misogynie dont il semble faire preuve, ici ou là (surtout avec Lucrèco, qui en fille de bonne famille protestante genevoise secrète la haine de soi), n'est que l'envers, bien sûr, de son désir, c'est-à-dire de ses illusions...

Au sujet de désir, Il y a cette citation surprenante, puisque tirée d'une pièce de Courteline : " l'amour n'est fait que du désir d'avoir ou de la gratitude d'avoir eu "...

– Oui, mais qu'est-ce qu'avoir, en amour, ou avoir eu ? Et qui a qui ? Y a-t-il forcément un gagnant et un perdant ? Il semble que Simon connaisse à chaque fois une double expérience celle d'un gain (parfois bien dérisoire), mais aussi d'une perte. Laquelle, comme chacun sait, est souvent plus riche, ou plus intéressante que n'importe quel gain. Car la perte, à son tour, permet un nouveau commencement : Simon, comme tous les flambeurs, pratique la politique de la femme brûlée...

Simon est également un enfant, puis un jeune homme ouvert au monde. Au fil de son histoire on découvre les signes caractéristiques de son époque et de son appartenance à une génération qui a atteint l'âge d'homme Il y a quelques années.

– Simon est né avec les années 50. C'est dire qu'il traverse, de manière un peu effarée, une période historique qui connaît d'immenses bouleversements. À mesure que le livre avance, ces événements échappent à l'univers imaginaire pour s'ancrer solidement dans le réel. Quand Simon a 6 ans, en 1956, l'insurrection hongroise (qu'il découvre au Cinébref, le cinéma permanent des Rues basses) lui apparaît, à travers la fascination des images, comme une fête. De même les événements du canal de Suez... Plus tard, l'actualité prendra une autre force, grâce à la radio ou à la télévision, qui le poursuivent comme une sorte de litanie obsédante qui dirait : " jamais tu n'échappes à l'Histoire ! Jamais l'Histoire ne te laissera tranquille ! "

Si l'actualité est présente, elle ne fait pas oublier la part du rêve tout au long du récit. Et plus particulièrement la référence à l'eau, à la mer. In my beginning is my end, in my end is my beginning écrivait T.S. Eliot dans Four Quartets. Au commencement et à la fin de La Mémoire engloutie, il y a la mer...

– On pourrait dire que le livre tout entier est un hommage à la mer, si l'on veut bien entendre ce dernier mot dans toutes ses résonances... Elle berce Simon dès avant sa naissance et l'on dirait qu'il n'a qu'une hâte, au long du récit, c'est d'y retourner, de s'y anéantir corps et âme. Comme pour répondre à l'appel de cette voix mystérieuse, cette voix de femme qu'il porte en lui et qui le guide, cette vieille chanson de marinier qui l'incite à larguer les amarres, pour prendre enfin le large, et blottir son visage à jamais dans l'élément liquide...

 

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